Alors que les premières semaines de 2024 se sont révélées quelque peu chaotiques sur le plan économique, politique et même géo-stratégique, l’ombre d’une récession plane sur la zone euro, alimentant les inquiétudes des marchés, des décideurs politiques et des citoyens.
Les éléments qui caractérisent une récession
Une récession est techniquement définie comme une diminution du produit intérieur brut (PIB) réel pendant au moins deux trimestres consécutifs. Cependant, cette définition peut varier selon les contextes et les institutions. Par exemple, le National Bureau of Economic Research (NBER) aux États-Unis prend en compte une gamme plus large d’indicateurs, y compris le revenu, l’emploi, la production industrielle et la vente au détail.
Quoi qu’il en soit, une récession se caractérise généralement par une baisse de la production et des ventes, une augmentation du chômage, une réduction des dépenses de consommation et d’investissement, et souvent une baisse de la confiance des consommateurs et des entreprises.
Curieusement, cela ressemble exactement aux attentes des banques centrales dans leur politique de hausse de taux visant à endiguer l’inflation. La lutte contre le fléau inflationniste implique-t-elle de s’infliger celui de la récession ?
Beaucoup le craignent.
Notamment dans la zone euro qui n’a pas rebondi aussi bien que les États-Unis après les différentes crises de ces 3 dernières années (pandémie, pénurie de matières premières, guerre en Ukraine, crise énergétique, etc.). Et on le voit depuis plusieurs mois maintenant, de nombreux facteurs susceptibles de favoriser une récession se profilent à l’horizon en cette année qui s’annonce potentiellement riche en changements politiques à l’échelle du continent.
En effet, outre le renouvellement d’une partie des institutions européennes en mai 2024, de nombreux pays de l’Union vont également appeler leurs citoyens à participer à des élections d’importance nationale : élections présidentielles en Finlande, Slovaquie, Lituanie, Roumanie ; élections législatives au Portugal, Belgique, Croatie, Autriche…
Sans oublier les élections présidentielles aux Etats-Unis et en Russie qui risquent bien d’avoir des conséquences sur l’évolution des tensions internationales, et donc d’influer plus ou moins directement sur l’économie mondiale et européenne.
État de l’économie et de la monnaie en zone euro
On l’a vu, l’année 2024 n’a pas débuté sous les meilleurs auspices pour la zone euro. D’autant que, contrairement à d’autres régions du monde, la reprise post-pandémique n’a pas été aussi durable qu’attendue. La dynamique de croissance a même ralenti, menaçant souvent de s’inverser, ce qui n’a pas manqué de susciter quelques inquiétudes quant à la possibilité d’une récession.
Si on va un peu plus dans le détail, on constate en effet que de nombreux facteurs semblent réunis pour créer les conditions d’un recul durable de l’économie européenne.
Ralentissement de l’activité économique
En dépit des espoirs nés de la sortie de la crise sanitaire, l’année 2023 a plutôt été marquée par un ralentissement notable de l’activité économique dans la zone euro. Certes, l’invasion russe de l’Ukraine a généré des difficultés d’approvisionnement en énergie et en matières premières dans les premiers mois, mais cette guerre désormais ouverte a surtout réveillé de vieilles craintes sur le continent européen.
Des craintes qui perdurent aujourd’hui, voire qui se renforcent face à l’apparente impossibilité de sortir de cette crise et surtout aux menaces d’extension du conflit. C’est sans doute la raison pour laquelle, près de deux ans après le déclenchement des hostilités, l’économie de la zone euro ne parvient pas à retrouver le chemin de l’optimisme.
Au contraire, le dernier trimestre 2023 a clairement montré une contraction économique technique qui ne fait que confirmer un certain manque de confiance à moyen et long terme. Quant aux perspectives à court terme, elles restent très fragiles dans un contexte difficile où des secteurs clés comme la construction ont particulièrement souffert des restrictions imposées par la Banque centrale européenne.
On estime d’ailleurs que le ralentissement pourrait bien finir par s’étendre à l’industrie et aux services dans les mois à venir.
Solidité du marché du travail
Le marché du travail, quant à lui, a montré une résilience remarquable face à ce ralentissement économique. Ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle quand les banquiers centraux attendent justement de voir le chômage remonter (entre autres signaux) pour envisager de desserrer les cordons de la bourse.
En fait, non seulement le taux de chômage dans la zone euro est resté particulièrement stable, mais il est surtout demeuré très proche de son niveau historiquement bas. On a bien noté une légère diminution du nombre total d’heures travaillées, la première depuis fin 2020, mais le nombre de personnes en activité continue à augmenter (même légèrement).
On peut donc s’attendre à ce que la BCE maintienne ses taux directeurs à un niveau élevé durant une bonne partie de l’année 2024. Ce que Christine Lagarde a plus ou moins laissé entendre.
Prévision d’inflation en hausse
Du côté de l’inflation, c’est vrai que la zone euro n’a pas été épargnée, surtout quand on compare avec les Etats-Unis. Mais elle est aujourd’hui finalement bien mieux lotie avec une désinflation plus rapide.
Néanmoins, la zone euro n’est pas un groupe homogène, et certains pays s’en sont mieux sortis que d’autres. Par exemple, l’Italie a vu son inflation atteindre un pic entre juillet en novembre 2022 avant de connaître une baisse significative en 2023. Idem pour l’Espagne ou, mieux encore, pour les Pays-Bas et la Belgique qui affichent désormais une inflation négative !
Toutefois, on s’attend à une remontée temporaire de l’inflation pour le premier trimestre 2024, en raison notamment de la fin des mesures compensatoires liées à l’énergie.
Des conditions financières et monétaires toujours tendues
Évidemment, le niveau élevé des taux d’intérêt continue d’impacter les conditions de financement dans la zone euro, ce qui pèse lourdement sur la demande des particuliers comme des entreprises et contribue au ralentissement de l’activité économique.
Mais qui dit baisse de la demande dit aussi réduction possible de l’inflation. On peut donc espérer une reprise économique dès que la BCE aura un peu assoupli ses conditions monétaires.
Sauf que cette même BCE a également annoncé une réduction progressive de ses achats d’actifs à partir de la seconde moitié de 2024, ce qui devrait encore un peu plus assécher les disponibilités financières dans la zone euro.
Autres facteurs de risques d’une récession en 2024
La zone euro se retrouve donc à un carrefour économique crucial en 2024, avec un certain nombre d’aléas qui menacent de la précipiter en récession.
Conflits internationaux et défis domestiques
Avec des bombardements qui ne faiblissent pas en Ukraine et les rumeurs insistantes sur une possible extension des ambitions russes à l’encontre d’autres pays, appartenant cette fois à l’Union européenne (comme la Pologne par exemple), la zone euro subit d’intenses pressions qui pèsent lourdement sur son économie.
Les tensions au Moyen-Orient, ravivées par la riposte israélienne dans la bande de Gaza, exercent elles aussi un certain stress au niveau européen, principalement à travers l’impact sur les prix de l’énergie.
Dans le même temps, l’Union européenne doit faire face à l’évolution de ses politiques budgétaires, mais aussi à la nécessaire transition écologique qui va entraîner une inflation structurelle inévitable dans un environnement économique incertain et plutôt volatil.
Politiques fiscales et débats en Allemagne
Après quelques années de générosité sans frein, plusieurs États membres vont probablement resserrer leurs politiques fiscales en 2024, avec notamment des réductions attendues dans les mesures de soutien à l’énergie.
La situation en Allemagne est particulièrement critique, la Cour constitutionnelle ayant déclaré en novembre 2023 que le plan de financement du gouvernement pour les programmes climatiques et énergétiques était en grande partie illégal. Les finances publiques du pays se sont ainsi retrouvées avec un trou d’environ 60 milliards d’euros qui fait débat. D’un côté, certains économistes plaident pour une réforme, voire une abolition du frein à la dette pour faciliter les investissements verts, tandis que d’autres soutiennent son maintien pour garantir la stabilité fiscale.
Et quand on connaît la profonde aversion des Allemands vis-à-vis de l’endettement, on peut supposer que la première économie européenne va probablement décider de geler durablement une partie de ses dépenses, ce qui influera forcément sur l’ensemble de la zone euro, en ralentissant potentiellement l’activité économique sur fond d’inflation.
Inflation et perspectives sur la monnaie
L’inflation, justement, oblige les marchés à s’adapter en permanence, avec des mouvements parfois brutaux qui trahissent un manque de visibilité à moyen ou long terme.
La politique de taux élevés pratiquée par la BCE a favorisé une hausse des rendements obligataires, mais personne ne sait vraiment comment la situation va évoluer.
Tout dépendra en grande partie de la politique monétaire de la Banque centrale européenne pour 2024. En novembre 2023, les marchés anticipaient pas moins de sept réductions de taux de 25 points de base. Mais dernièrement, Christine Lagarde, plus ou moins à l’unisson des banquiers centraux américains, a douché les espoirs de ceux qui voyaient déjà l’amorce d’une baisse pour le printemps en indiquant qu’il n’y aurait probablement aucune révision de taux avant le second semestre 2024. Difficile dans ces conditions d’imaginer autant de baisses que prévu.
Cette incertitude, couplée à une évolution du taux de change euro-dollar plutôt en faveur de la devise américaine, renforce les craintes de vivre une année 2024 particulièrement médiocre en termes de croissance économique.
Les conséquences d’une récession en zone euro
D’une manière générale, une récession ne causerait pas d’effets très différents de ceux que l’on subit déjà ; ils seraient en revanche plus durables et plus profonds, à la fois pour l’économie, les marchés financiers, les gouvernements et les citoyens.
Ainsi, en s’étendant sur une plus longue période, le ralentissement économique pourrait conduire à une baisse significative de la croissance, voire carrément inverser la tendance et faire reculer le PIB, ce qui affecterait l’économie globale de la zone euro et entraînerait forcément des conséquences sur le commerce mondial.
La structure économique elle-même se verrait affectée, avec des changements dans les secteurs d’activité dominants et des modifications dans les politiques gouvernementales. Certains projets d’envergure supranationale pourraient être reportés, comme par exemple le « verdissement » de la production énergétique dont on sait qu’elle entraînera une inflation inévitable, mais aussi la souveraineté industrielle qui demande des investissements lourds peu compatibles avec une économie en récession.
Nécessité faisant loi, on pourrait donc assister à des changements d’orientation provisoires mais profonds dans les politiques gouvernementales des Etats membres, obligés de résoudre en priorité les difficultés économiques du moment, quitte à repousser la mise en place de processus à plus long terme qui auraient, par exemple, mis davantage l’accent sur l’environnement.
La stabilité sociale pourrait elle aussi souffrir d’une récession, car un ralentissement économique majeur entraîne souvent une augmentation du taux de chômage, avec les répercussions que l’on devine sur le revenu des ménages, la précarité sociale et la confiance des individus. La consommation de biens et services s’en verrait évidemment affectée, pesant sur l’activité des entreprises qui, à leur tour, réduiraient fortement leurs investissements productifs.
Sur les marchés financiers, une récession à l’échelle de la zone euro aurait également des conséquences fortes en termes de volatilité mais aussi de fluctuations des différents indices nationaux, créant des déséquilibres entre les pays membres, certains mieux notés que d’autres, jusqu’à potentiellement faire ressurgir le risque d’une explosion de l’Union sous la pression de certains Etats qui pourraient souhaiter quitter un espace monétaire en difficulté.
En effet, certains gouvernements pourraient voir leurs recettes fiscales chuter considérablement en raison de la baisse d’activité économique, tout en devant augmenter leurs dépenses pour des mesures de soutien social et économique. D’autant que, malgré un potentiel retour à une sorte de « quoi-qu’il-en-coûte« , il pourrait être compliqué de limiter le risque d’un accroissement des inégalités, et les tensions sociales pourraient conduire certains pays à privilégier un retour à des politiques plus nationalistes, plus protectionnistes, incompatibles avec l’appartenance à une entité supraétatique.
Enfin, une récession aurait forcément des conséquences sur le secteur bancaire, notamment en raison d’une augmentation du risque de défaut de crédit lié à l’accroissement du chômage et à la baisse d’activité économique pour les entreprises.
Quant à l’or, il serait lui aussi impacté mais pas de façon aussi nette et tranchée que les autres secteurs d’actifs. En effet, comme durant toute période difficile, sa nature de valeur refuge pourrait inciter les investisseurs à accroître leur demande en métal précieux, ce qui ferait monter son cours. Mais les pressions inflationnistes pourraient également pousser les détenteurs d’or à vendre une partie de leur patrimoine doré pour couvrir des pertes dans d’autres domaines ou répondre à des besoins en liquidités ; ce qui ferait cette fois baisser le prix de l’or. Au final, on peut supposer que l’or conserverait une valeur élevée sans pour autant fluctuer de manière trop brutale à moyen terme, les facteurs de baisse venant compenser les facteurs de hausse.
Ce qu’il faut retenir
- Depuis quelques mois, on voit apparaître de nombreux signes d’une éventuelle récession en zone euro pour 2024.
- Moins dynamique qu’aux Etats-Unis, la croissance économique post-covid de la zone euro peine à repartir, et le PIB de certains Etats membres a même déjà commencé à reculer.
- L’inflation qui ne baisse pas aussi rapidement que prévu amène la BCE à conserver une politique de taux élevés qui pénalise l’activité économique.
- La guerre en Ukraine qui menace de s’étendre à certains pays européens, ainsi que les tensions au Moyen-Orient créent un stress à la fois politique et économique dans la zone euro.
- Les conséquences d’une récession en zone euro seraient nombreuses mais pas si différentes des turbulences économiques et financières que nous connaissons déjà ; simplement plus profondes et plus durables.
- L’or serait lui aussi affecté mais de façons diverses qui pourraient bien se compenser et conserver au métal précieux une certaine stabilité.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses, tout en vulgarisant les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.