Depuis quelques semaines, le moins que l’on puisse dire c’est que les marchés financiers ne sont pas à la fête. Mais pour beaucoup d’investisseurs fatalistes, c’est normal que tout aille mal en ce moment : c’est l’effet Octobre !

Ce qu’il faut retenir :

  • L’histoire financière est parsemée d’événements qui ont façonné la manière dont les investisseurs perçoivent les marchés.
  • La psychologie joue un rôle crucial dans la manière dont les investisseurs réagissent aux mouvements du marché.
  • Les investisseurs sont soumis à des biais cognitifs qui influencent de manière très significative leurs décisions.
  • Une analyse statistique rigoureuse montre que, même si le mois d’octobre est souvent celui des publications de résultats trimestriels mais aussi parfois d’échéances politiques importantes, il n’est pas le plus “dangereux” de l’année ; l’effet Octobre serait donc tout simplement une affaire de perception.

Octobre a toujours été un mois scruté avec une attention particulière par les investisseurs. Historiquement marqué par des krachs mémorables, ce mois revêt cette année une importance encore plus grande, car octobre 2023 se présente dans un contexte économique particulièrement tendu.

Ainsi, en France, le CAC40 vient d’effacer ses performances des six ou sept derniers mois en moins d’une semaine. Tandis que l’inflation, quant à elle, semble s’être installée durablement à un niveau élevé, flirtant avec les 4,5% un peu partout, malgré les efforts des banques centrales. D’ailleurs, la menace d’une poursuite des politiques de resserrement monétaire, aussi bien par la Fed que par la BCE, ajoute une pression supplémentaire sur des marchés déjà fragilisés.

Enfin, du côté géopolitique, en plus de la guerre en Ukraine qui dure maintenant depuis plus d’un an et demi, les troubles persistants au Moyen-Orient ajoutent une couche d’incertitude sur l’économie mondiale et pèsent donc lourdement sur le moral des investisseurs.

Dans ce contexte, la question se pose : octobre sera-t-il à nouveau le théâtre d’un épisode noir pour les marchés ? Ou l’effet Octobre est-il simplement une superstition alimentée par le souvenir des événements passés ?

Histoire financière : le spectre d’octobre

L’histoire financière est parsemée d’événements qui ont façonné la manière dont les investisseurs perçoivent les marchés. Octobre, en particulier, est un mois qui a été marqué par des événements boursiers majeurs, gravant dans la mémoire collective une certaine appréhension.

Le Jeudi noir de 1929

Le 24 octobre 1929, connu sous le nom de « Jeudi noir », est l’une des dates les plus traumatisantes de l’histoire financière. Ce jour-là, la Bourse de New York a connu une chute vertigineuse, précipitant le monde dans la Grande Dépression. La panique s’est emparée des investisseurs, et en l’espace de quelques jours, des milliards de dollars de valeur de marché ont été anéantis.

Cette crise a eu des répercussions bien au-delà des marchés financiers, entraînant des années de misère économique, une crise mondiale sans précédent avec un chômage élevé et une défiance durable envers le système financier.

Le Lundi noir de 1987

Près de six décennies plus tard, le 19 octobre 1987, le monde financier a été témoin d’un autre « Lundi noir ». En une seule journée, le Dow Jones a chuté de 22,6%, la plus grande baisse en pourcentage en une seule journée de son histoire.

Les raisons de cette chute sont multiples : des valorisations élevées, des inquiétudes concernant la hausse des taux d’intérêt et l’adoption récente de stratégies de trading automatisé, qui ont amplifié la vente massive. Bien que les conséquences économiques de cet événement n’aient pas été aussi graves que celles de 1929, elles ont néanmoins laissé une marque indélébile dans l’esprit des investisseurs.

La crise des subprimes

Même si les deux précédents événements sont les plus célèbres, il faut reconnaître que le début du dernier trimestre de certaines années a régulièrement été marqué par une plus forte incertitude. On se souvient par exemple de la crise des subprimes qui a vu les banques paniquer à partir d’octobre-novembre 2007, et qui ont commencé à annoncer des pertes et dépréciations d’actifs colossales. On parle en effet de chiffres compris entre 110 et 500 milliards de dollars de pertes, dès la fin octobre 2007 !

Une situation qui n’a fait qu’empirer durant les douze mois qui ont suivi, jusqu’à la faillite retentissante de Lehman Brothers fin septembre 2008, laquelle plongea les marchés mondiaux dans un véritable chaos dès le mois d’octobre.

Forcément, difficile pour certains investisseurs de ne pas voir là encore une sorte d’effet “Octobre Noir”. Mais, en réalité, tout n’est qu’une histoire de perception.

Psychologie des investisseurs : Le poids des souvenirs et des biais cognitifs

On sait depuis toujours que la psychologie joue un rôle crucial dans la manière dont les investisseurs perçoivent et réagissent aux mouvements du marché. Mais au-delà des turbulences passagères et de l’actualité économique qui peuvent susciter des émotions souvent peu compatibles avec l’action raisonnée en matière financière, c’est toute la culture des investisseurs qui contribue à expliquer la plupart de leurs habitudes, de leurs réflexes, et même de leurs croyances.

Ainsi, les événements historiques font partie intégrante de cette culture, et, combinés à des biais cognitifs, ils peuvent influencer de manière très significative leurs décisions d’investissement.

Mémoire collective et phénomène d’ancrage

Même si l’une des maximes les plus populaires en économie explique que “les performances passées ne préjugent pas des performances futures”, les investisseurs ont pourtant tendance à se focaliser sur des événements financiers majeurs du passé, en particulier ceux qui ont eu un impact émotionnel fort. Les chutes boursières historiques par exemple, dont le hasard a voulu qu’un certain nombre d’entre elles connaissent leur apogée en octobre, ont laissé une empreinte profonde dans la mémoire collective.

Cet ancrage peut alors conduire à une surréaction face à de nouvelles informations négatives qui arriveraient justement à cette période de l’année.

Surinterprétation des tendances et biais de confirmation

De la même manière, l’analyse technique, qui se concentre sur l’étude des mouvements de cours passés pour tenter de prédire les mouvements futurs, peut parfois conduire à une surinterprétation d’une tendance baissière observée en octobre. Et là encore, certains investisseurs pourraient la considérer comme une confirmation de la « malédiction d’octobre », même si d’autres facteurs macroéconomiques ou géopolitiques sont en jeu.

C’est ce qu’on appelle un biais de confirmation : les investisseurs ont tendance à chercher et à privilégier des informations qui confirment leurs croyances préexistantes. Par conséquent, si un investisseur croit fermement qu’octobre est un mois risqué, il est probable qu’il accordera plus d’attention aux mauvaises nouvelles ou aux prédictions négatives pendant ce mois-là, renforçant ainsi sa croyance.

Aversion à la perte et effet de groupe

L’aversion à la perte est un autre biais psychologique puissant. Les investisseurs ressentent généralement une douleur plus intense lorsqu’ils subissent une perte par rapport au plaisir qu’ils ressentent lorsqu’ils réalisent un gain. Cela peut les conduire à vendre prématurément des actifs en baisse en octobre, par peur de pertes plus importantes, même si les fondamentaux économiques restent solides. Alors qu’à un autre moment de l’année, ils auraient peut-être simplement attendu que le marché se retourne.

L’ennui, c’est que les investisseurs sont également influencés par le comportement des autres. Et si un grand nombre d’entre eux commencent à vendre en octobre par peur d’une répétition historique, cela peut inciter d’autres investisseurs à suivre le mouvement, créant ainsi une prophétie auto-réalisatrice.

Démystification de la malédiction d’octobre

L’analyse statistique offre un moyen objectif d’évaluer la validité des affirmations concernant la « malédiction » d’octobre. Puisque la source de cette croyance réside dans les évènements historiques marquants, un examen attentif des données historiques devrait pouvoir déterminer si octobre est réellement le mois le plus volatil ou le plus négatif pour les marchés.

Analyse des rendements mensuels :

En examinant les rendements mensuels moyens des principaux indices boursiers sur plusieurs décennies, nous constatons que, bien qu’octobre ait connu des chutes notables, il n’est pas systématiquement le mois le plus faible. En réalité, les marchés financiers ont bien souvent enregistré des performances plus faibles en septembre qu’en octobre.

Et n’oublions pas que l’éclatement de la bulle spéculative autour des valeurs Internet en 2000 a fait chuter les marchés de 40% en mars, la crise de la dette en Zone euro est survenue en août 2011, tandis que le krach boursier lié à la pandémie de Covid-19 a eu lieu en février 2020.

Volatilité d’octobre

Du reste, si octobre est célèbre pour ses krachs boursiers, il est également connu pour ses fortes reprises. D’ailleurs, les statistiques à long terme démontrent que le mois d’octobre marque le dernier des 6 mois les moins performants de l’année en bourse (Avril-Octobre). Octobre serait donc finalement le meilleur mois pour acheter.

Néanmoins, cette position charnière entraîne souvent une volatilité accrue, mais même en termes de volatilité, une étude historique dépassionnée montre qu’octobre n’est pas non plus le mois le plus volatil de l’année. Statistiquement parlant, ce serait plutôt le mois d’août.

Facteurs externes

Enfin, les performances boursières d’octobre peuvent également être influencées par des facteurs externes tels que les cycles électoraux, les politiques monétaires des banques centrales ou les tensions géopolitiques. Ces éléments peuvent avoir un impact plus important sur les marchés que le simple calendrier.

Par exemple, il faut se souvenir que, tous les 4 ans, les Américains élisent leur président au début du mois de novembre (la prochaine élection se déroulera le 5 novembre 2024), ce qui fait du mois précédent une période de très grande fébrilité auxquels les marchés financiers ne sont pas insensibles.

De la même façon, octobre est un mois où de nombreuses entreprises publient leurs rapports trimestriels. Et après une période estivale souvent plus calme sur le front de l’activité économique, ces résultats peuvent être inférieurs aux attentes, entraînant alors des réactions relativement négatives sur le marché.