Le marché obligataire, souvent perçu comme un refuge pour les investisseurs en quête de stabilité, est aujourd’hui gravement menacé par la hausse brutale des taux d’intérêt de ces derniers mois. Et même si les médias mainstream n’en parlent pas encore, le risque de krach obligataire est désormais bien réel.

Ce qu’il faut savoir :

  • Les obligations sont des titres émis par les gouvernements et certaines grandes entreprises pour lever des capitaux auprès d’investisseurs afin de financer leur fonctionnement.
  • La remontée soudaine des taux directeurs va faire grimper le coût de l’emprunt pour les gouvernements, et donc accroître le poids de la dette.
  • Les actions nouvellement émises vont devoir proposer des rendements attractifs pour concurrencer les autres actifs, tandis que les anciennes obligations vont voir leur valeur s’effondrer pour rester rentables.
  • Les détenteurs d’obligations, et en particulier les fonds de pensions ou les assureurs fortement investis sur ce marché, voient la valeur de leur capital fondre à vue d’œil.
  • L’État déjà surendetté, en raison du soutien massif de l’économie durant la pandémie de Covid-19 et la crise inflationniste, risque également de ne pas pouvoir supporter la hausse des intérêts qu’il devra servir aux détenteurs de ses obligations.
  • Les entreprises émettrices d’obligations verront le poids de leur dette augmenter alors que dans le même temps, le crédit bancaire indispensable à leur développement est de plus en plus cher.
  • La crise obligataire est déjà là, le marché est sur le point d’imploser ; le krach n’est plus très loin.

Le marché obligataire expliqué

Essentiel au système financier mondial, ce marché permet aux gouvernements et à certaines grandes entreprises d’émettre des titres pour lever des capitaux auprès d’investisseurs.

Plus précisément, une obligation est un contrat entre l’émetteur et le détenteur par lequel le premier emprunte de l’argent au second. En contrepartie, l’émetteur s’engage à verser des intérêts à intervalles réguliers, les “coupons”, généralement tous les six mois, et à rembourser le montant principal, appelé « valeur nominale », à la fin de la période de l’obligation, connue sous le nom de « maturité ».

Une fois que l’obligation est émise, elle peut ensuite être achetée et vendue entre investisseurs sur le marché secondaire. C’est d’ailleurs sur ce marché que la plupart des transactions obligataires ont lieu, et que le prix des obligations fluctue en fonction de l’offre et de la demande, mais aussi de la durée restante jusqu’à la maturité, de la solvabilité de l’émetteur… et du taux d’intérêt en vigueur.

En effet, plus les taux augmentent et plus la valeur des obligations déjà émises baisse : les investisseurs préfèrent en effet placer leur argent sur des actifs plus rentables et donc revendent les obligations qu’ils détiennent, ce qui pousse leur prix à la baisse.

Inversement, les obligations nouvellement émises devront proposer des rendements plus élevés. Et c’est exactement ce qu’il se passe en ce moment…

L’actualité récente du marché obligataire

Selon un article de La Tribune, la hausse brutale des taux sur les marchés obligataires menace directement le budget français. Cette montée soudaine signifie que le coût de l’emprunt pour les gouvernements, et donc le coût du service de la dette, pourrait augmenter de manière significative de 34 à 75 milliards d’euros d’ici 2027. Car, en effet, pour séduire des investisseurs, il va falloir se montrer plus généreux.

Plus globalement, l’année 2023 a été marquée par des tensions croissantes sur le marché obligataire, en particulier en France. L’indice vedette parisien, le CAC 40, a subi de plein fouet les conséquences de ces tensions. Pour la première fois depuis mars, il a même clôturé sous le seuil des 7.000 points à l’issue du énième séance tumultueuse le mardi 3 octobre 2023.

Du côté américain, là où naissent toutes les tendances de marché, les obligations à 10 ans ont vu leur taux passer à 4.777%, un niveau inédit depuis 2007. Mais ce sont les robustes créations d’emplois dévoilées par le rapport Jolts qui ont véritablement sonné l’alarme. Les ouvertures de postes ont dépassé les attentes, avec 9,61 millions de créations en août, bien au-dessus du consensus qui tablait sur 8,815 millions après 8,92 millions en juillet.

Cette situation pourrait paraître encourageante pour l’économie américaine, mais elle a surtout été interprétée comme une menace pour la sphère financière. Elle renforce en effet la probabilité que la Réserve fédérale américaine (Fed) augmente à nouveau ses taux directeurs avant la fin de l’année, probablement en novembre. Entraînant dans son sillage les autres banques centrales, à commencer par la BCE.

Rappelons que, dans le cadre d’une lutte contre l’inflation, l’un des effets attendus d’une politique de hausse des taux réussie de la part des banques centrales, c’est justement la baisse du marché de l’emploi. Une situation inverse est donc susceptible d’envoyer un signal fort incitant les banquiers centraux à poursuivre, voire intensifier, leur stratégie de resserrement monétaire.

Nouveau call-to-action

Pourquoi une hausse des taux est-elle préoccupante ?

Essayons d’examiner en détail ce qui se passe sur le marché obligataire lorsque les taux directeurs augmentent.

Supposons qu’un investisseur achète une obligation d’État à 10 ans avec un coupon de 2%. Si, un an plus tard, les taux d’intérêt montent et que de nouvelles obligations similaires offrent un coupon de 3%, l’obligation initiale à 2% devient moins attrayante sur le marché secondaire. Pour rendre l’obligation déjà en circulation plus attrayante, son prix doit donc baisser de manière à rendre le titre plus rentable et s’aligner avec la rentabilité des nouvelles obligations.

Dit autrement, une obligation achetée 100 € qui rapportait un coupon de 2€ (2%) devrait désormais être revendue 66.67 € pour que les 2€ représentent 3%, à l’instar des titres nouvellement émis. L’obligation en question a donc perdu ⅓ de sa valeur.

Les investisseurs qui détiennent des obligations voient ainsi la valeur de leur portefeuille diminuer lorsque les taux montent. C’est particulièrement préoccupant pour les prêteurs institutionnels tels que les fonds de pension ou les compagnies d’assurance, qui ont souvent placé les capitaux de leurs adhérents ou de leurs futurs retraités dans un grand nombre d’obligations réputées comme sûres.

Néanmoins, ces détenteurs n’ont rien perdu tant qu’ils n’ont pas vendu leurs obligations avant leur échéance. La prudence voudrait alors que les possesseurs d’obligations fassent le dos rond et attendent la maturité de leurs titres pour récupérer leur mise. Mais dans un contexte de baisse des liquidités liée à la hausse des taux directeurs, la tentation est grande de récupérer son capital pour l’investir dans des actifs plus rentables, au lieu d’assister impuissant à l’érosion inexorable de la valeur du patrimoine investi.

C’est là qu’un krach obligataire peut se produire, lorsque les possesseurs d’obligations, craignant une hausse continue des taux d’intérêt, se mettent à vendre massivement leurs titres, entraînant une chute brutale des prix. Cette baisse des prix peut alors inciter d’autres détenteurs à vendre à leur tour, aggravant le phénomène par un effet boule de neige.

Crise actuelle et perspectives à court terme

Actuellement, les taux directeurs ont beaucoup monté en peu de temps, et leur progression semble vouloir se poursuivre alors même que le marché montre de sérieux signes de tension. Pour certains économistes, nous sommes déjà en phase de krach obligataire, même si les effets ne s’en font pas encore totalement ressentir.

Mais les faits sont là.

Après des années de taux bas durant lesquelles les États ont emprunté à tour de bras sans s’inquiéter du poids de la dette, puisque les coupons servis sur les obligations étaient quasiment nuls, il faut désormais composer avec deux inconvénients majeurs.

  • Les nouvelles obligations, et surtout celles à venir, doivent désormais proposer une rentabilité attractive face à la remontée des taux d’intérêt sur les produits bancaires et la forte dynamique des marchés boursiers. Pour les emprunteurs, cela signifie des coupons plus élevés à verser régulièrement et donc une charge supplémentaire dans un contexte très défavorable :
    • Du côté des entreprises émettrices, la remontée des taux a mécaniquement rendu l’accès au crédit plus coûteux ; un crédit souvent indispensable pour soutenir la croissance et financer les investissements à long terme. Émettre des obligations aujourd’hui revient à augmenter encore un peu plus le montant des intérêts à payer aux prêteurs, ce qui risque d’être très difficile à supporter économiquement.
    • Du côté de l’État, on sort d’une période particulièrement violente pour les finances publiques en raison des nombreuses aides et subventions qu’il a fallu distribuer pour soutenir l’économie durant la pandémie puis la crise inflationniste et la guerre en Ukraine. Les finances publiques exsangues et l’endettement déjà faramineux, qui atteint désormais 112% du PIB pour la France, rendent l’éventualité d’une augmentation du taux des obligations là encore tout simplement insupportable.
  • Les obligations déjà en circulation, dont la grande majorité est assortie de rendements ridiculement faibles par rapport aux nouvelles émissions, doivent être désormais littéralement bradées pour espérer attirer des acheteurs sur le second marché. Ce sont ainsi plusieurs milliards d’euros de valorisation qui se sont envolés. Juste pour la période allant de juillet à décembre 2022, La Banque centrale européenne elle-même a été victime du phénomène qu’elle avait pourtant initié, en affichant une perte nette d’1,6 milliard d’euros sur son capital obligataire en raison de la hausse des taux directeurs. Ce qui laisse envisager des pertes bien plus considérables pour 2023, quand on sait que les taux sont passés de 2% en décembre 2022 à 4,5% en septembre 2023. Et qu’on attend une probable nouvelle hausse d’ici novembre 2023…

De telles pertes financières, tant en valeur de capital que de coût de rendement, signent indéniablement le début d’un krach obligataire qui pourrait bien être particulièrement préjudiciable au financement de l’économie des prochaines années.

D’autant plus qu’une crise obligataire d’envergure majeure a de grandes chances d’éloigner durablement les investisseurs d’un marché en plein marasme. Dès lors, même les emprunteurs solvables, et à plus forte raison les États, pourraient désormais avoir du mal à lever des fonds, alors même que les besoins en refinancement n’ont jamais été aussi importants.

Nous ne sommes donc probablement qu’au tout début de cette crise…