Récemment, le Fonds monétaire international (FMI) a relevé ses prévisions de croissance pour la Russie en 2023 de 0,3 % à 0,7 %. Dans le même temps, on apprend que les milliardaires russes n’ont jamais été aussi riches et qu’à Moscou, tous les produits européens sont toujours disponibles. C’est à se demander si les sanctions occidentales à l’égard de la Russie contre son intervention en Ukraine ont vraiment servi à quelque chose…

Des sanctions qui ne datent pas de 2022

Certains pourraient arguer que les sanctions sont encore trop récentes pour avoir donné leur plein effet. Sauf que des sanctions contre la Russie et son ingérence en Ukraine, l’Occident a commencé à en appliquer il y a près de dix ans maintenant, plus précisément depuis février 2014 et l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie de Vladimir Poutine. Ce dernier voyait en effet d’un très mauvais œil le rapprochement de cette petite province péninsulaire ukrainienne avec l’Union Européenne. 

Évidemment, les réactions internationales ne se sont pas fait attendre et, dès le 28 février 2014, le président américain Barack Obama avait fait les gros yeux (en excluant tout de même la moindre participation active au conflit, comme c’est encore le cas aujourd’hui). S’en sont ensuivi tout un tas de réactions indignées des principales organisations internationales ainsi que des pays majeurs de la bonne société diplomatique mondiale, à commencer par une première série de sanctions économiques, diplomatiques et sportives (on venait de vivre les XXIIe Jeux Olympiques d’Hiver… en Russie !). 

Finalement, cette réprobation internationale s’est soldée par le gel d’actifs financiers d’une trentaine de personnalités russes de second rang (donc pas Vladimir Poutine), le refus de crédits européens à plusieurs banques et compagnies pétrolières russes, sans oublier l’interdiction d’exporter des biens pouvant être détournés militairement ainsi que d’équipements pétroliers vers la Russie.

On s’en doute, l’effet a été plutôt modéré, d’autant plus que la Russie est elle-même productrice de pétrole (c’est même le 3e plus gros pays producteur au monde, presque ex-aequo avec l’Arabie Saoudite) donc peu sensible aux restrictions sur les produits pétroliers. De la même façon, l’industrie militaire russe, en dépit de ses carences, est également l’une des plus productives sur la planète et n’a probablement pas besoin de biens étrangers « pouvant être détournés militairement ». Enfin, les restrictions financières concernaient principalement les relations avec l’Union Européenne, mais ne disaient rien sur d’éventuels financements en provenance d’Asie, et plus particulièrement de Chine, pays historiquement allié de longue date avec la Russie.

Les nouvelles sanctions après l’attaque de l’Ukraine

24 février 2022, Vladimir Poutine décide une fois de plus de laisser libre cours à son fantasme de la Grande Russie réunifiée et repart à l’assaut de l’Ukraine, laquelle n’était pas non plus un modèle de stabilité politique ni d’éthique démocratique en raison des guerres intestines menées depuis 8 ans par le pouvoir central de Kiev contre ses provinces pro-russes du Donbass.

Cette fois, Poutine sort le grand jeu et c’est une véritable invasion qui se déroule en direct sous les yeux du monde entier. Difficile alors pour la communauté internationale de rester de marbre, surtout qu’elle était censée avoir pris des mesures suffisamment sévères (hem…) depuis 2014 pour dissuader la Russie de recommencer à faire des bêtises (re-hem…).

Là, on ne plaisante plus. Des Etats-Unis à l’Union européenne, en passant par tous leurs alliés aux voix plus ou moins timides, l’écrasante majorité des nations condamnent les agissements de la Russie. Et durant la première semaine de guerre, les sanctions sévères occidentales commencent à pleuvoir. Rien que du côté de l’Union européenne, premier marché économique désigné de la Russie, la contrainte se veut forte pour tordre le bras de Vladimir Poutine et le renvoyer dans son coin.

 

  • Armes : forcément, interdiction de vente d’armes et équipements militaires à la Russie
  • Pétrole russe : embargo
  • Charbon russe : embargo
  • Or russe : embargo
  • Banques russes : exclusion de la plupart d’entre elles du système bancaire Swift et gel des avoirs de la Banque centrale russe hors de Russie
  • Cryptomonnaies : interdiction des transactions avec les ressortissants russes
  • Aéronautique : fermeture de l’espace aérien européen à l’aviation russe et interdiction de vente d’avions et d’équipements aux compagnies aériennes russes
  • Transports de marchandises : fermeture des ports de l’UE aux bateaux russes et interdiction des routes de l’UE aux camions russes
  • Métaux : interdiction d’acheter des produits sidérurgiques russes finis et semi-finis
  • Communication : fermeture des antennes européennes de Russia Today, Sputnik, Rossiya RTR/RTR Planeta, Rossiya 24/Russia 24, Rossiya 1, TV Centre International, NTV/NTV Mir, REN TV et Pervyi Kanal 

Sanctions individuelles : interdiction de séjour et gel des avoirs de Vladimir Poutine, d’oligarques russes et d’un grand nombre de personnes et entités soutenant l’effort de guerre de la Russie

Des conséquences finalement très limitées pour la Russie… mais pas pour l’Europe

Cette fois-ci, on en est sûr, on va faire mal à la Russie parce qu’on va la frapper directement au portefeuille. Certains parlent même de « détruire » l’économie russe pour empêcher Poutine de financer son effet de guerre. D’ailleurs, les premières conséquences ne se font pas attendre puisque le rouble s’effondre presque immédiatement, passant de 78 roubles pour 1 dollar à 138 roubles quelques jours plus tard, soit une dégringolade de quasiment 50%.

Sauf que très vite, la devise Russe se reprend et remonte même au taux de 57 roubles pour un dollar, soit un niveau jamais vu depuis 2018 !

De la même façon, les premiers à souffrir des différents embargos décidés par les Européens sur les productions russes… sont les Européens eux-mêmes. Notamment en raison de la forte dépendance de certains pays majeurs de l’Union (comme l’Allemagne par exemple !) au gaz et au pétrole russe. Les produits énergétiques se font rares, et certains produits agricoles aussi : Russie et Ukraine représentent par exemple 30% de la production mondiale de blé. Conséquence directe, les prix flambent en Europe, les consommateurs de l’UE voient l’inflation déjà sous-jacente littéralement exploser… et les milliardaires russes s’en mettent plein les poches ! Selon le dernier calcul du classement du magazine Forbes, grâce à la guerre en Ukraine et à la hausse du prix des matières premières jusqu’ici dominées par la Russie, les oligarques du pays, dont la plupart sont des industriels, ont vu leur fortune croître de 152 milliards de dollars en 2022. Il y a même désormais 22 milliardaires de plus en Russie qu’en 2021, portant leur nombre à 110. Et ils auraient été plus nombreux encore si certains, comme Nicolaï Storonsky, le fondateur de Revolut, n’avaient pas renoncé à la citoyenneté Russe.

Et les citoyens dans tout ça ?

Évidemment, il n’est pas facile d’obtenir des informations précises de la vie quotidienne en Russie, et on sait qu’un grand nombre de citoyens russes ne soutiennent pas la politique belliqueuse de leur président. Néanmoins, il semble que, dans les grandes villes en tout cas, la vie des habitants n’ait pas beaucoup changé depuis l’application des sanctions occidentales.

Ainsi, s’il est vrai qu’un grand nombre de marques emblématiques occidentales ont quitté la Russie depuis un an, la plupart de leurs restent parfaitement disponibles. En effet, s’il est bien interdit d’acheter des produits russes pour éviter d’aider Poutine à financer sa guerre, rien n’interdit en revanche les Russes d’importer et d’acheter des produits en provenance de l’étranger. En clair, malgré les embargos et les contraintes visant l’économie russe, les flux dans l’autre sens ne sont quasiment pas concernés. Et les camions non-russes transportant du Coca-Cola, des vêtements Zara ou même des meubles IKEA continuent à franchir librement la frontière russe en toute légalité, la plupart du temps en provenance de pays hors-UE. Sans oublier les citoyens eux-mêmes qui ne subissent aucune restriction de circulation et qui reviennent de l’étranger les bras (et les valises !) chargés de produits occidentaux.

Bref, à part peut-être des délais de livraison légèrement plus longs, les Russes peuvent toujours acheter ce qu’ils veulent où ils veulent. Les joies de l’économie mondialisée. Mieux encore, certaines grandes enseignes occidentales ont revendu leurs activités à des sociétés basées dans des pays qui n’étaient pas concernées par les restrictions à l’égard de la Russie (comme les Emirats Arabes Unis par exemple) afin de pouvoir continuer à écouler leur marchandise sans entrave. De mauvaises langues pourraient imaginer que ces nouvelles sociétés ont été justement créées ou partiellement rachetées par ces mêmes groupes européens qui leur ont revendu leur activité vers la Russie, mais ce ne serait que pure spéculation bien loin de l’éthique qui anime en toute circonstance les grandes entreprises du capitalisme mondial.

Alors ces sanctions, efficaces ou non ?

Malgré tout, on peut quand même noter que les sanctions occidentales ont pas mal compliqué la vie de Vladimir Poutine. D’abord parce qu’il pensait que l’Europe, qu’il comparait à une petite vieille femme frileuses, allait le laisser tranquillement jouer au petit soldat alors que finalement il doit aujourd’hui composer avec une armée ukrainienne très lourdement équipée par tous les pays de l’Union. Ce qui lui coûte à la fois très cher financièrement, humainement et politiquement. 

D’autant qu’il est désormais particulièrement isolé sur la scène internationale, y compris sur son aile Est où il espérait bien compter sur un soutien de la Chine. Sauf que cette dernière à d’autres ambitions et qu’entre un marché russe assez instable et un marché commercial européen représentant environ 10 fois plus d’argent, son calcul est vite fait. Quitte à se priver d’une source possible de revenus, autant couper la plus petite.

De la même façon, même si le rouble est revenu à des niveaux d’avant-crise, c’est surtout lié à des effets d’augmentation des produits pétroliers et de raréfaction de la devise russe en circulation (eh oui, ce qui est rare est cher, etc…). Les sanctions compliquent donc beaucoup la dépense de ces roubles dont les Russes ne savent plus trop quoi faire, puisqu’ils ont beau être forts, ils ne sont plus vraiment acceptés nulle part.

A terme, on peut donc imaginer que les puissants oligarques finiront par se lasser d’être riches uniquement en Russie mais persona non grata partout ailleurs, là où justement ils aimaient passer l’essentiel de leur temps. Avec un régime politique largement soutenu par une minorité de milliardaires influents, il est donc possible que les sanctions économiques atteignent leur but en faisant cesser la guerre et en poussant Vladimir Poutine à abandonner le pouvoir. Mais peut-être pas à la manière occidentale…