Depuis le dernier trimestre 2022, la Corée du Sud expérimente l’installation de distributeurs d’or physique sous forme de lingotins en libre-service dans des centres commerciaux. Simple gadget ou véritable opportunité pouvant faciliter l’accès à la vraie monnaie universelle ?


GS Retail est une entreprise de vente au détail basée à Séoul qui exploite plus de 10 000 magasins de proximité à travers la Corée du Sud. Profitant de son maillage géographique exceptionnel, et consciente de l’intérêt grandissant de la population pour les métaux précieux, la société a décidé en septembre 2022 d’installer des distributeurs automatiques de lingots d’or dans cinq de ses magasins. Devant le succès quasi immédiat de ces bornes d’un nouveau genre, le nombre de magasins équipés de ces machines a augmenté pour atteindre 29, avec l’objectif d’atteindre 50 d’ici la fin de l’année 2023.

19 millions de dollars d’or vendu en 9 mois

Concrètement, ces distributeurs proposent cinq types de petits lingots allant de 0,13 once (4 grammes) à 1,3 once (environ 40 grammes). Le format le plus populaire est le plus petit, qui se vend environ 225 dollars, ce qui peut s’expliquer par le fait que les principaux acheteurs sont des personnes âgées de 20 à 30 ans dont le pouvoir d’achat reste encore fragile dans un pays réputé pour être l’un de ceux où le coût de la vie reste assez élevé, similaire à celui de la France, soit environ 22% au-dessus de l’indice de référence (qui, par convention, correspond généralement au coût de la vie moyen aux Etats-Unis).

Quoi qu’il en soit, entre septembre 2022 et mai 2023, les ventes de lingots d’or via ces distributeurs ont totalisé 19 millions de dollars, même si Lee Eun-hee, professeur d’études de consommation au département des sciences de la consommation de l’université Inha d’Incheon, ainsi que plusieurs de ses collègues, estime que « acheter un lingot d’or dans une supérette semble être davantage une activité ludique qu’un moyen d’investissement sérieux ». Pour elle en effet, « la popularité de ces lingots d’or est principalement due à leur facilité d’accès », un peu comme une machine à sous où on ne perdrait jamais.

De l’or pour se protéger de l’inflation et des pressions économiques.

Néanmoins, quand on interroge les principaux intéressés, à savoir les acheteurs, ils affirment voir l’or physique comme un investissement, en particulier en cette période d’inflation et de pressions économiques de toutes parts. Et c’est vrai que, d’un point de vue économique, l’achat d’or a toujours été vu comme une forme d’épargne de précaution et surtout une protection contre l’inflation.

En effet, l’or est considéré comme une « valeur refuge » en période d’incertitude économique, et même comme un actif sûr et « libre » face aux institutions politiques qui, de temps à autres, cherchent de nouveaux moyens de mettre la main sur l’épargne classique. Sans oublier qu’en Corée du Sud, l’or revêt une importance particulière puisqu’on en offre traditionnellement aux nouveaux-mariés ainsi qu’aux jeunes enfants : il est ainsi courant d’offrir des petits lingots d’or lors du premier anniversaire d’un enfant, une tradition connue sous le nom de « Doljanchi ».

La vision de l’or plus nuancée de la Banque centrale de Séoul

Pour autant, la Corée du Sud ne croit pas à un retour en force de l’or face aux valeurs financières classiques, et ce malgré l’engouement grandissant de la population pour le métal précieux. Ainsi, dans un rapport publié en juin 2023, la BOK (banque centrale de Corée du Sud) se veut très prudente vis-à-vis de l’or, indiquant qu’il est largement préférable de maintenir ses liquidités en dollars américains en période de risques élevés de récession et d’incertitude géopolitique.

Elle ajoute d’ailleurs qu’elle reste très préoccupée par l’orientation des prix de l’or, et on peut la comprendre au regard de son histoire récente. En effet, la BOK est l’une des rares banques centrales à ne pas acheter d’or depuis le début des années 2010, et pour cause : lorsqu’elle s’y était intéressée à l’époque, l’or atteignait des sommets et la banque centrale s’était vue fortement reprocher son manque de prudence en achetant du métal à ce moment-là. Des critiques amplifiées par la chute du cours de l’or dans les années qui ont suivi.

Aujourd’hui, tout en précisant que l’or a déjà beaucoup augmenté et qu’il pourrait être proche de son maximum, la BOK invoque les taux d’intérêt élevés et la difficulté de vendre l’or à des fins de liquidité pour expliquer qu’elle ne souhaite pas accroître son stock d’or. A ce jour, la Corée du Sud détient 104,4 tonnes d’or dans ses réserves de change, pour une valeur d’environ 4,8 milliards de dollars, ce qui représente à peine 1,14 % de ses réserves totales.

Quelle étape après les distributeurs ? La possibilité d’acheter en or ?

Ce n’est pas ici qu’on vous apprendra qu’acheter avec de l’or est déjà une réalité, et tous les utilisateurs de VeraCash disposent déjà d’une carte de paiement adossées à de l’or physique leur permettant finalement de régler leurs dépenses du quotidien en métaux précieux (après conversation instantanée en devises).

Néanmoins, les distributeurs automatiques de lingots de petites tailles, et donc de valeurs facilement négociables dans le commerce, interrogent légitimement sur l’éventualité de voir apparaître des magasins acceptant cette monnaie pour certaines transactions. Non seulement en Corée du Sud, mais pourquoi pas ailleurs dans le monde. Notons par exemple que les Émirats arabes unis vendent également de l’or via des distributeurs automatiques, sous le label « Gold To Go ». Verra-t-on d’ailleurs bientôt ce genre de distributeurs en France, estampillés VeraCash ou même AuCOFFRE ? N’insultons pas l’avenir en affirmant aujourd’hui que ce serait impossible, mais reconnaissons tout de même qu’il reste encore un certain nombre de défis à relever pour que cela devienne une réalité.

  • Valeur fluctuante de l’or
    L’or est un actif dont la valeur fluctue en fonction du marché mondial. Cela signifie que la valeur de l’or que vous possédez peut changer d’un jour à l’autre, ce qui pourrait rendre difficile la détermination de combien vaut réellement l’or que vous utilisez pour payer.
  • Problèmes de logistique et de sécurité
    L’or reste un métal à la fois précieux et lourd. Le transport et la manipulation de l’or pourraient donc poser des problèmes de sécurité et de logistique. Sans oublier que l’authentification de l’or pourrait nécessiter du temps et des équipements spécialisés, ce qui n’est pas pratique pour les transactions quotidiennes.
  • Acceptation par les commerçants
    De la même façon, pour que l’or puisse être utilisé comme moyen de paiement, il faudrait que les commerçants soient prêts à l’accepter. Et là, en termes de comptabilité, de gestion et même de fonctionnement au quotidien, cela risque de représenter des changements majeurs pour les entreprises comme pour les institutions, à commencer par l’URSSAF et le fisc.
  • Réglementation
    Enfin, il pourrait y avoir des obstacles réglementaires à l’utilisation de l’or comme moyen de paiement. On sait la frilosité des autorités face aux crypto-monnaies qu’elles ne peuvent contrôler par exemple, ou même simplement face au cash qui circule dans la population sans que l’Etat ne puisse avoir le moindre droit de regard sur ces échanges privés, alors on imagine sans peine les préoccupations susceptibles de naître dans les esprits suspicieux de ceux qui nous gouvernent, lesquels craignent, parfois à juste titre, tous les moyens qui pourraient faciliter le travail illégal, le blanchiment d’argent ou encore la fraude fiscale.

Cela dit, ces premières expériences en Corée du Sud ou encore aux Emirats Arabes Unis restent intéressantes en ce sens qu’elles contribuent à faire sortir chaque jour un peu plus l’or physique de son statut de relique barbare et d’actif dépassé dans lequel certains voudraient bien le voir retourner. Mais à l’heure où les devises officielles ont depuis longtemps montré leurs limites et n’inspirent plus vraiment confiance tant elles contribuent à l’endettement des nations ainsi qu’aux phénomènes inflationnistes qui minent nos économies (et ne parlons même pas des projets de digitalisation visant à leur faire perdre tout caractère matériel pour mieux les manipuler), nombreux sont ceux qui se remettent à croire à un renouveau de l’or comme support tangible et inaltérable de la monnaie.