On dit souvent que l’or est la plus ancienne monnaie des civilisations organisées. On sait aussi qu’il a perdu son statut de référent monétaire il y a plus de 50 ans maintenant, avec la fin des accords de Bretton Woods. Pourtant, le métal précieux continue à être utilisé dans de nombreuses transactions, principalement au niveau international et géopolitique. Et il semble également revenir en force dans les projets d’indépendance financière de plusieurs pays face à l’hégémonie du dollar.

Une valeur monétaire plusieurs fois millénaire

On considère que les premières utilisations de l’or en tant que monnaie remontent au VIIe siècle avant notre ère, lorsque les Mésopotamiens ont commencé à frapper des pièces d’or pour faciliter leurs échanges commerciaux. Cependant, l’or a été utilisé comme moyen d’échange bien avant l’apparition de la monnaie, dès l’âge du bronze, où il servait déjà de moyen de paiement, de tribut de guerre ou encore permettait le partage des richesses entre les nations.

Cette reconnaissance de l’or en tant que monnaie s’explique tout d’abord par sa grande rareté qui, couplée à son brillant unique, l’a rapidement rendu d’autant plus précieux. Longtemps impossible à contrefaire, il demandait en outre beaucoup d’efforts pour être extrait du sol, ce qui lui conférait là encore une valeur importante. Enfin, l’or ne se corrompt pas et reste intact presque indéfiniment, ce qui en fait une réserve de valeur idéale à travers le temps.

Facilement reconnaissable, permettant de stocker et de transporter facilement des sommes importantes dans des volumes relativement réduits, l’or a depuis cette époque toujours conservé cette fiabilité qui inspire confiance, aussi bien aux individus qu’aux institutions, voire aux Etats eux-mêmes. Aujourd’hui, s’il a perdu sa qualité de monnaie officielle dans la plupart des pays du monde, l’or continue d’être utilisé comme une forme d’investissement et reste considéré comme une valeur refuge contre l’inflation et les fluctuations des marchés financiers.

Pourtant, malgré ces avantages, l’or a perdu son statut de référent monétaire en 1971 avec la fin des accords de Bretton Woods, ce système international mis en place après la Seconde Guerre mondiale et qui établissait un lien entre l’or et le dollar, lequel servait à son tour de monnaie étalon pour les autres devises de la planète. La raison était simple : à la fin des années 1960, à mesure que les économies se développaient et que la demande pour l’or augmentait, le système de Bretton Woods était devenu intenable et tout l’or du monde ne suffisait plus à garantir l’explosion de liquidités exigée par la croissance exponentielle des Etats-Unis.

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Le retour de l’or comme monnaie

Malgré cela, l’or continue à être utilisé dans de nombreuses transactions, en particulier au niveau international et géopolitique. En effet, l’or est toujours considéré comme un actif relativement stable dans le temps, et il permet à certains Etats de pallier la faiblesse de leur devise pour opérer malgré tout sur les marchés commerciaux. 

Dernier exemple en date, le Ghana a signé un accord provisoire avec les Emirats Arabes Unis pour acheter du pétrole non plus en dollars, la monnaie officielle de ce marché, mais contre de l’or. Pour la plupart des observateurs, l’or ne pouvant plus aujourd’hui être considéré autrement que comme une marchandise, cet accord s’apparente à un simple troc. Mais pour d’autres, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un retour en grâce du précieux métal comme monnaie internationale.

La particularité de cette transaction réside dans la publication détaillée de ses modalités, car outre son approvisionnement en pétrole, l’objectif du Ghana était également de rassurer ses partenaires économiques sur sa solvabilité en dépit d’une apparente faillite sur le marché des devises plus traditionnelles. En général, les transactions internationales impliquant l’échange d’or contre une autre marchandise se font de manière beaucoup plus discrètes, d’abord et justement pour éviter de semer le doute sur les ressources financières du pays acheteur, ensuite parce que quelques unes de ces transactions peuvent porter sur des produits stratégiquement sensibles sur lesquels on n’a pas forcément envie d’attirer l’attention.

Par exemple, on soupçonne fortement la Russie d’utiliser une partie de son énorme stock d’or accumulé entre 2014 et 2020 (évalué à 140 milliards de dollars) pour contourner l’embargo commercial international qui lui est imposé depuis un an, afin de soutenir le coût de son invasion de l’Ukraine. En vendant ou en échangeant une partie de son stock de métal précieux auprès de certains de ses partenaires historiques, comme la Chine par exemple, Moscou pourrait ainsi obtenir des ressources financières mais aussi certainement d’autres produits et matériels stratégiques

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Entretien avec Nathalie Janson - professeure d'Economie à Neoma Business School de Paris - au sujet de la place de la monnaie dans la géopolitique d'aujourd'hui. Elle évoque avec Benjamin Rosoor les leviers de pression sur la Russie, les alliances pour nouer des partenariats stratégiques et le rôle des politiques monétaires sur notre vie quotidienne.

Un futur étalon-or anti-dollar ?

D’ailleurs, la Chine et la Russie font partie d’un groupe de pays qui voient justement dans l’or un moyen de retrouver une certaine indépendance financière face à l’hégémonie du dollar. Avec le Brésil, l’Inde et l’Afrique du sud, ils forment le groupe des BRICS (voir encadré) et cherchent depuis de nombreuses années à diversifier leurs réserves de devises pour ne plus être totalement dépendants du dollar. A ce titre, l’or est régulièrement cité comme une alternative viable à cette hégémonie monétaire et divers projets ou expérimentations ont déjà été tentés par le passé, avec parfois le concours d’autres pays historiquement opposés à ce qu’ils nomment l’impérialisme américain, comme l’Iran ou encore la Turquie. 

Ainsi, en 2017, les pays de l’Organisation de Coopération de Shanghai, au nombre desquels on retrouve la Chine et la Russie, mais aussi l’Inde et le Pakistan (soit 3 milliards de personnes !) planchaient déjà sur une nouvelle unité de change basée sur l’or et visant à concurrencer le dollar. A l’heure où j’écris cet article, soit février 2023, suite aux restrictions imposées à la Russie en matière d’échanges monétaires électroniques, ces mêmes pays travaillent également sur un nouveau réseau de paiement électronique concurrent du SWIFT organisé par la Russie et qui semble non seulement pleinement opérationnel mais surtout d’ores et déjà interopérable avec le CIPS, l’équivalent chinois du SWIFT, ainsi qu’avec la Banque centrale indienne. L’objectif sera bien sûr de contourner le système « officiel » pour échanger des devises classiques hors du contrôle des USA ou de l’Union européenne, mais ce nouveau réseau vise également à renforcer la circulation d’une toute nouvelle monnaie internationale basée à la fois sur l’or et les ressources énergétiques. D’autres Etats comme la Turquie, l’Algérie ou l’Iran se sont d’ores et déjà montrés intéressés. On craint également que certains pays producteurs de pétrole ne leur emboîtent le pas, à commencer par l’Arabie Saoudite, ce qui entraînerait des bouleversements économiques majeurs encore difficiles à anticiper.

La longue marche de la Chine vers la dédollarisation

PODCAST - Valeur Refuge, tout comprendre de l'économie

Dans ce cinquième numéro de Valeur Refuge, le podcast d’actualité produit par VeraCash, Mathieu Devaux-Sabarros et Benjamin Rosoor reviennent sur la stratégie de la Chine pour devenir le leader mondial incontestable et ainsi doubler les Etats-Unis.

Les BRICS et leur doctrine anti US

Les BRICS sont un groupe de cinq pays émergents formé par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Ce groupe a été formé en 2006 pour renforcer les relations économiques et politiques entre ces pays et les promouvoir sur la scène internationale. Les BRICS représentent plus de la moitié de la population mondiale et sont considérés comme des acteurs clés de l’économie mondiale en raison de leur croissance rapide et de leur poids économique croissant.

Depuis leur formation, les BRICS ont exprimé une doctrine anti-Etats-Unis et anti-dollar. Ils cherchent à diversifier leurs réserves de devises en dehors du dollar et à encourager l’utilisation de leurs propres devises nationales dans les transactions commerciales internationales. Ils cherchent également à renforcer leur coopération monétaire et à créer une alternative au système monétaire international actuel dominé par le dollar et le Fonds monétaire international (FMI).

En exemple, en 2013, les BRICS ont créé le New Development Bank (NDB), une banque de développement qui vise à fournir des financements pour les projets de développement en Asie, en Amérique latine et en Afrique. Le NDB se positionne comme une alternative au FMI et à la Banque mondiale, qui sont largement perçus comme étant dominés par les États-Unis et les pays de l’Union européenne.

Une autre piste consisterait à utiliser l’or comme support d’un nouveau système d’échange monétaire international concurrent du dollar et totalement indépendant des USA.


Bruno GONZALVEZ

Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses, tout en vulgarisant les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.