Face à la montée en puissance des paiements numériques, à la progression quelque peu anarchique des cryptomonnaies et à la domination d’acteurs privés non européens, la BCE prépare une riposte stratégique : l’euro numérique. Une monnaie publique dématérialisée, conçue pour s’adapter au XXIe siècle sans renier les principes fondamentaux de la souveraineté monétaire.

Une monnaie numérique publique pour l’ère digitale

Que les choses soient claires : l’euro numérique NE SERA PAS une cryptomonnaie ni un substitut à l’argent liquide, mais une version numérique de la monnaie centrale. Une sorte « d’euro bis » accessible à tous, un projet qui vise à préserver le rôle de la monnaie unique européenne dans un monde en pleine transition technologique.

Définition et fonctionnement

Provisoirement nommé Cash+1 en 2023 dans l’espoir de le distinguer de la devise principale, l’euro numérique est un projet de monnaie numérique émise par la Banque centrale européenne (BCE). Il s’agit d’une forme électronique de la monnaie de banque centrale, accessible à tous les citoyens et entreprises de la zone euro. Contrairement aux cryptomonnaies décentralisées comme le Bitcoin, l’euro numérique serait donc une monnaie numérique légalement reconnue, émise et garantie par la BCE.​

Grâce à elle, les utilisateurs pourront créer un portefeuille numérique, alimenté depuis un compte bancaire ou par dépôt d’espèces, pour effectuer des paiements instantanés et sûrs, que ce soit en ligne, en magasin ou entre particuliers. La BCE envisage également la possibilité de paiements anonymisés hors ligne, offrant ainsi une solution de paiement numérique universelle et gratuite pour les opérations de base dans toute la zone euro.​

Complémentarité avec l’argent liquide

L’euro numérique ne vise pas à remplacer l’argent liquide, mais à le compléter. Il offrirait une alternative numérique aux espèces (dont le coût de fabrication est régulièrement dénoncé), répondant aux besoins d’une société de plus en plus numérisée. Car les pièces et les billets constituent déjà une monnaie émise directement par la BCE. L’euro numérique n’en serait qu’une version dématérialisée qui coexistait avec les euros métalliques et papier, garantissant ainsi le libre choix des citoyens en matière de moyens de paiement.

Néanmoins, on peut raisonnablement supposer qu’à mesure que les espèces trop endommagées seront retirées de la circulation, comme c’est le cas depuis toujours, elles ne seront peut-être plus remplacées, laissant progressivement l’euro numérique devenir la nouvelle monnaie du quotidien.

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Pourquoi l’Europe veut créer sa propre monnaie numérique

L’euro numérique est avant tout une réponse politique à un défi de souveraineté. En effet, entre dépendance aux géants américains du paiement, montée des monnaies numériques étrangères et exigence d’inclusion, l’Union européenne cherche sent qu’elle perd la main sur le marché des paiements.

Modernisation des paiements

La numérisation des paiements est en forte accélération, et la part des transactions en espèces diminue progressivement dans la zone euro. En Allemagne, par exemple, les paiements en espèces ne représentaient plus que 51 % des transactions en 2023, contre encore 74 % en 20172. Dans ce contexte, l’euro numérique permettrait de garantir un moyen de paiement public et accessible, même dans un environnement entièrement digitalisé.

Ce projet répond aussi à un enjeu d’équité : il vise à garantir que tous les citoyens, y compris ceux qui ne disposent pas de compte bancaire, puissent accéder à une forme de monnaie numérique simple et gratuite.

Renforcement de la souveraineté monétaire

Aujourd’hui, une grande partie des paiements numériques en Europe repose sur des acteurs non européens comme Visa, Mastercard, Apple Pay ou PayPal. Cette dépendance stratégique est perçue comme une véritable vulnérabilité, notamment en cas de tensions géopolitiques ou de sanctions extraterritoriales comme celles dont l’actuelle administration Trump est en train de menacer l’Europe.

En introduisant un euro numérique géré par la BCE, l’Union européenne renforcerait son autonomie stratégique, tout en se prémunissant contre l’émergence de monnaies numériques privées comme les stablecoins (ex. : l’ancien projet Libra de Facebook) ou les monnaies de banques centrales étrangères majeures, comme le yuan numérique de la Chine3, qui est déjà en phase avancée de test4.

Inclusion financière et innovation

L’euro numérique permettrait aussi de stimuler l’innovation dans les services de paiement. En fournissant une infrastructure numérique commune, il ouvrirait un champ de développement aux fintechs et acteurs bancaires européens, capables de bâtir de nouvelles applications ou services autour de cette monnaie. Il serait aussi conçu pour être interopérable à l’échelle européenne, évitant ainsi les fragmentations nationales actuelles.

Les questions posées par les internautes

Quelle est la date de péremption de l’euro numérique ?

Aucune date de péremption n’est prévue : l’euro numérique constituera un moyen de paiement durable, comme les pièces et les billets (l’usure en moins).

Pourquoi avons-nous besoin d’un euro numérique ?

L’idée est de garantir un moyen de paiement public, sûr et accessible à tous dans un monde de plus en plus numérisé où les solutions existantes sont entre les mains de puissances étrangères.

Quels sont les avantages de la monnaie numérique ?

Pour l’usager, elle permet des paiements instantanés, sécurisés et accessibles sans compte bancaire ; pour l’Union Européenne, c’est un moyen de renforcer sa souveraineté monétaire.

Qu’est-ce que l’euro numérique (MNBC) ?

C’est une version électronique de l’euro émise par la Banque centrale européenne, accessible à tous, et complémentaire à l’argent liquide qui est également émis directement par la BCE.

Une architecture monétaire repensée : promesses et risques

L’introduction d’une monnaie numérique par la BCE ne va pas sans bouleverser l’équilibre actuel entre banques centrales, banques commerciales et citoyens. Derrière l’innovation technique, un débat profond s’ouvre sur la place des institutions financières, mais aussi sur la sécurité et la liberté des individus.

Quel rôle pour la Banque centrale ?

Avec l’euro numérique, la Banque centrale européenne disposerait d’un outil monétaire supplémentaire au potentiel énorme. En théorie, elle pourrait ainsi injecter directement de l’argent dans les portefeuilles numériques des citoyens — par exemple pour soutenir la consommation en période de crise — selon un principe appelé « helicopter money », longtemps considéré comme purement théorique, mais qui pourrait alors devenir parfaitement possible.

Sauf qu’un tel outil soulève également des questions politiques et économiques majeures. Distribuer directement de la monnaie centrale aux particuliers remettrait en question le rôle classique des banques commerciales en tant que courroie de transmission de la politique monétaire. C’est vrai que cette transmission n’est pas toujours infaillible ni même efficace, mais la contester exigerait une redéfinition de l’équilibre entre pouvoir budgétaire, monétaire et bancaire.

Quelles conséquences pour les banques ?

De fait, l’introduction d’un euro numérique pourrait donc modifier profondément le rôle des banques commerciales. Aujourd’hui, la majorité de la masse monétaire est créée par ces établissements via le crédit. Si les particuliers pouvaient détenir des dépôts directement auprès de la BCE, cela réduirait potentiellement la base de dépôts des banques… et donc leur capacité à accorder des prêts !

Pour éviter cette « désintermédiation », la BCE envisage un plafond de détention individuel, ou encore la mise en place de taux d’intérêt dissuasifs au-delà d’un certain seuil. Ces garde-fous visant à préserver le rôle central des banques dans le financement de l’économie. Mais jusqu’à quand…?

Protection des données et vie privée

Enfin, contrairement aux apparences, l’euro numérique semble avoir été conçu pour répondre aux inquiétudes croissantes liées à la surveillance et à la collecte massive de données personnelles dans les systèmes de paiement actuels. Beaucoup de gens (et certains très sérieux) prétendent le contraire, mais la BCE a précisé que les transactions pourraient rester totalement anonymes dans certains cas, notamment en mode hors ligne. Tout en respectant les exigences en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

L’institution garantit également que ni elle ni les banques centrales nationales n’auront accès aux données personnelles des utilisateurs, et que les mécanismes de contrôle seront transparents et encadrés juridiquement.

En somme, rien que d’excellentes nouvelles… sur le papier.

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Un projet encore en construction, au cœur des controverses

Malgré son stade préliminaire, ainsi que toute la communication qui se veut rassurante autour de ce projet, l’euro numérique cristallise les fantasmes et les oppositions. Mais si on en croit la BCE, loin d’un outil de contrôle, il pourrait bien devenir le garant européen d’un système de paiement sûr, inclusif et résilient.

Calendrier et état d’avancement

L’euro numérique est en chantier depuis 2021. Une phase d’investigation a été menée jusqu’à l’automne 2023, pendant laquelle la BCE a analysé les implications techniques, juridiques et économiques du projet. Cette phase a permis d’identifier les conditions nécessaires à son succès, notamment en matière de sécurité, de compatibilité avec les systèmes existants, et de protection des données.

Depuis octobre 20235, le projet est entré dans une phase préparatoire, censée durer deux ans au cours desquels la BCE a dû travailler sur la conception finale du système, la sélection des partenaires technologiques, ainsi que les règles d’émission et de distribution. Même s’il semble qu’on arrive actuellement à la fin de cette période d’ajustement, aucune décision formelle n’a encore été prise, et le lancement éventuel ne devrait pas intervenir avant 2027 ou 2028.

Un terrain fertile pour la désinformation

L’ennui c’est que plus le temps passe, et plus le projet fait l’objet de rumeurs dont la plupart sont infondées (voire totalement fantaisistes), largement relayées sur les réseaux sociaux qui font le lit de toutes les théories complotistes imaginables. Certaines avancent que l’euro numérique remplacerait les espèces (ce qui n’est pas prévu pour l’instant, mais qu’on ne peut pas totalement exclure à long terme), d’autres évoquent une surveillance totale des citoyens (qui est déjà effective par bien des moyens) ou la possibilité d’un contrôle gouvernemental sur les dépenses individuelles.

La BCE a bien répondu à ces critiques en publiant plusieurs démentis, mais chacun d’eux est repris comme une preuve qu’on cherche à cacher la réalité. Finalement, au-delà des difficultés techniques, il semble que la méfiance de l’opinion publique reste encore le plus gros défi à surmonter pour sa mise en place.

Ce qu’il faut retenir :

  • L’euro numérique sera une version électronique de l’euro, émise par la BCE, accessible à tous et complémentaire à l’argent liquide.
  • Il vise à renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe face aux acteurs privés et aux monnaies numériques étrangères.
  • Sa mise en place pourrait transformer la relation entre banques centrales, banques commerciales et usagers.
  • La BCE promet un haut niveau de protection de la vie privée et une accessibilité universelle.
  • Le projet n’est pas encore acté et ne sera potentiellement lancé qu’à l’horizon 2027-2028.

Bibliographie

1 Veracash, Les premiers pas de l’Euro numérique
2 Bundesbank, Zahlungsverhalten in Deutschland 2023
3 Site internet du Atlantic Council
4 Banque Centrale Européenne, Euro numérique
5 Banque Centrale Européenne, Communiqué de presse sur l’Euro numérique