Alors que l’euro s’échange autour de 1,13 dollar (au moment de la rédaction de cet article), proche de son plus haut niveau depuis près de trois ans, la faiblesse du billet vert soulève des interrogations. Si certains y voient une aubaine, d’autres redoutent les conséquences d’un dollar affaibli sur l’économie mondiale. Décryptage des causes, des impacts et des perspectives de cette (r)évolution monétaire.​

Un dollar affaibli : symptômes d’un déséquilibre profond

Derrière la glissade du billet vert se cachent des fragilités structurelles et conjoncturelles : tensions commerciales, doutes sur la Réserve fédérale et désaffection croissante des investisseurs.

Pourquoi le billet vert recule en 2025

Depuis le début de l’année 2025, le dollar américain a connu une dépréciation notable, perdant environ 9 % de sa valeur face à l’euro. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance :

  • Politiques protectionnistes : L’administration Trump a intensifié les droits de douane, ravivant les tensions commerciales et suscitant des craintes de ralentissement économique.​
  • Doutes sur la politique monétaire : Les critiques répétées du président à l’égard de la Réserve fédérale (et ses menaces envers Jerome Powell) ont érodé la confiance des investisseurs dans l’indépendance de l’institution.​
  • Rapatriement des capitaux : Les investisseurs étrangers, notamment européens, ont réduit leur exposition aux actifs libellés en dollars, préférant des placements jugés plus stables.​
  • Spéculation sur le marché des changes : Les anticipations de poursuite de la baisse du dollar ont alimenté des mouvements spéculatifs, alimentant et accentuant du même coup la tendance.​
  • Déficits structurels : Les déficits jumeaux des États-Unis, commercial et budgétaire, continuent de peser sur la valeur du dollar.​

La mécanique d’une perte de confiance

La combinaison de ces facteurs a conduit à une perte de confiance des investisseurs dans les actifs américains. Les sorties de capitaux se sont accélérées, avec des ventes nettes d’actions américaines atteignant 63 milliards de dollars en deux mois. Cette défiance se manifeste également par une baisse de la demande pour les obligations du Trésor, rendant le financement des déficits plus coûteux pour le gouvernement américain. Un cercle particulièrement vicieux…

Marchés sous tension : gagnants et perdants

La baisse du dollar rebat les cartes sur les marchés financiers, entre fuite des capitaux américains, afflux en Europe et regain de volatilité sur les devises mondiales.

Une volatilité accrue sur les devises

La dépréciation du dollar a entraîné une volatilité sur les marchés des changes. Les investisseurs cherchent des refuges, se tournant vers des devises considérées comme plus stables, telles que le franc suisse ou le yen japonais (mais aussi vers l’or qui a gagné pas moins de 20% sur les quatre premiers mois de l’année !). Cette rotation des capitaux perturbe les équilibres financiers mondiaux et complique évidemment la tâche des banques centrales dans la gestion de leurs politiques monétaires.​

Moins d’appétit pour les actifs américains

La baisse du dollar s’accompagne aussi d’une diminution de l’attractivité des actifs américains. Les indices boursiers, tels que le S&P 500 et le Nasdaq, ont enregistré des baisses respectives de 4 % et 7 % depuis le début de l’année. Les investisseurs étrangers, confrontés donc à une érosion de la valeur de leurs placements en dollars, réorientent leurs portefeuilles vers des marchés offrant de meilleures perspectives de rendement.​

Effet miroir en Europe : afflux de capitaux, euro trop fort ?

L’Europe bénéficie temporairement de ces flux de capitaux, avec une appréciation de l’euro qui atteint des niveaux inédits depuis trois ans. Cependant, cette situation présente des risques : un euro trop fort peut nuire à la compétitivité des exportateurs européens, en rendant leurs produits plus chers sur les marchés internationaux. En outre, l’afflux de capitaux peut entraîner une surévaluation des actifs européens, créant des bulles potentielles sur certains marchés.

Les questions posées par les internautes

Un dollar faible rend les exportations américaines plus compétitives, mais augmente le coût des importations et peut alimenter l’inflation.

La baisse du dollar reflète une perte de confiance des investisseurs dans l’économie américaine ou sa politique monétaire, et peut entraîner une réorientation des flux financiers mondiaux.

Si le dollar diminue, les capitaux étrangers peuvent fuir les marchés américains, les biens importés deviennent plus chers, et les marchés mondiaux deviennent plus volatils.

Lorsque le dollar est faible, les investisseurs se tournent souvent vers les actifs libellés en euros, en francs suisses, en or, ou dans des marchés émergents jugés stables.

Le dollar est la principale monnaie de réserve et d’échange dans le monde, ce qui lui confère un rôle central dans la stabilité financière globale et les échanges internationaux.

L’Amérique entre opportunité et fragilité

Un dollar faible peut doper les exportations américaines, mais il menace aussi le pouvoir d’achat, l’attractivité économique du pays et la stabilité de sa croissance.

Exportations boostées, mais à quel prix ?

Un dollar plus faible rend les produits américains plus compétitifs à l’exportation. Cela pourrait soutenir certains secteurs industriels et réduire le déficit commercial. Mais dans les faits, cette amélioration est limitée par la faiblesse de la demande mondiale et les tensions commerciales persistantes. Sans oublier que les gains à l’exportation ne compensent pas nécessairement les effets négatifs d’une devise affaiblie sur l’économie domestique.​

Inflation importée et hausse du coût de la vie

À l’inverse, la dépréciation du dollar renchérit le coût des importations, contribuant à une augmentation du coût de la vie. Les consommateurs américains voient ainsi les prix des biens importés augmenter, ce qui pèse sur leur pouvoir d’achat. Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’inflation globale reste élevée, compliquant la tâche de la Réserve fédérale dans la gestion de sa politique monétaire.​ C’est notamment pourquoi, en dépit des vociférations du président Trump, la Fed ne peut pas suivre le rythme de baisse des taux imposées par la BCE.

Un climat économique détérioré

Forcément, on assiste à une certaine perte de confiance dans la stabilité économique des États-Unis, ce qui se traduit par une baisse des investissements et une prudence accrue des entreprises. Le PIB américain a ainsi reculé de 0,3 % au premier trimestre 2025, indiquant un ralentissement de l’activité. Si cette tendance se poursuit, elle pourrait alors conduire à une récession, avec des conséquences sur l’emploi et les finances publiques.​

Europe : les bénéfices limités d’un euro fort

L’appréciation de l’euro améliore le pouvoir d’achat des consommateurs mais fragilise les exportateurs et accentue les déséquilibres au sein de la zone euro.

Pouvoir d’achat amélioré, mais industrie pénalisée

L’appréciation de l’euro face au dollar constitue un avantage pour les consommateurs européens : les importations libellées en dollars, comme le pétrole, les matières premières ou les biens électroniques, deviennent moins coûteuses. Ce phénomène contribue à freiner l’inflation en zone euro, ce qui est un soulagement pour les ménages après deux années de pression sur les prix.

Mais ce bénéfice s’accompagne d’un revers : les entreprises exportatrices européennes, notamment en Allemagne, en Italie et en France, sont désavantagées. Leurs produits deviennent plus chers sur les marchés internationaux, en particulier dans les pays où les contrats sont libellés en dollars. Plusieurs groupes industriels du CAC 40 et du DAX ont d’ailleurs révisé à la baisse leurs prévisions de résultats trimestriels, invoquant explicitement la force de l’euro face au dollar comme facteur défavorable.

Risque de déséquilibre économique interne

Une monnaie forte peut également accentuer les divergences économiques au sein de la zone euro. Les économies fortement orientées vers l’exportation souffrent davantage qu’un pays comme la France, dont les exportations sont davantage tournées vers l’Union européenne elle-même. Cela complique la tâche de la Banque centrale européenne (BCE), contrainte de tenir compte de ces effets différenciés dans sa politique monétaire.

En outre, la baisse de l’inflation importée — pourtant bénéfique à court terme — pourrait entretenir la crainte d’un retour de la désinflation, à l’heure où la BCE peine encore à ramener l’inflation sous les 2 % de manière stable et homogène.

Un mouvement durable ?

Si les États-Unis ne parviennent pas à regagner la confiance des marchés, la faiblesse du dollar pourrait s’installer durablement. Même si le statut hégémonique de la devise américaine reste encore difficile à détrôner.

L’évolution dépendra des réponses politiques

La persistance d’un dollar faible dépendra avant tout de la capacité des États-Unis à restaurer la confiance dans leur politique économique. Si l’administration américaine décidait d’assouplir sa position commerciale, par exemple, ou si la Réserve fédérale parvenait à rassurer les marchés, à la fois sur son indépendance et son cap monétaire, alors le billet vert pourrait regagner du terrain rapidement.

Mais l’histoire récente l’a montré : les marchés des devises sont sensibles aux signaux politiques autant qu’aux fondamentaux économiques. La simple annonce d’un revirement de stratégie à Washington pourrait suffire à inverser la tendance. Du moins temporairement.

Un système toujours centré sur le dollar… mais sous pression

Il ne faut pas non plus sous-estimer un élément clé : malgré sa baisse, le dollar reste au cœur du système monétaire international, représentant encore près de 60 % des réserves de change mondiales. Son rôle comme monnaie de référence pour les échanges mondiaux reste inégalé, en l’absence d’alternative pleinement crédible.

Cependant, cette position dominante est moins assurée qu’auparavant. Des initiatives comme le renforcement du yuan numérique en Chine, les accords bilatéraux hors dollar entre la Russie et ses partenaires, ou encore les discussions sur des monnaies entre les BRICS signalent un monde où la domination du billet vert n’est plus aussi incontestée qu’au début des années 2000. Pour certains experts, la dédollarisation de l’économie mondiale serait même déjà amorcée.

Le scénario d’un dollar faible mais stabilisé

Néanmoins, l’hypothèse la plus probable à moyen terme est celle d’un dollar durablement affaibli, mais sans effondrement brutal. Un niveau autour de 1,15 dollar pour un euro pourrait s’installer, reflétant à la fois les déséquilibres américains et les doutes des investisseurs, sans provoquer de crise systémique.

Dans ce scénario, les autorités européennes devront alors gérer un euro fort dans la durée, tandis que les États-Unis devront arbitrer entre les avantages compétitifs à l’exportation et les déséquilibres internes aggravés par un dollar faible.

Ce qu’il faut retenir

  • La faiblesse actuelle du dollar s’explique par des tensions commerciales, des doutes sur la Fed, des déficits structurels et une perte de confiance des investisseurs.
  • Elle crée une instabilité sur les marchés, réduit l’attrait des actifs américains et renforce temporairement l’euro.
  • Pour les États-Unis, un dollar plus faible stimule les exportations, mais alimente l’inflation et fait fuir les capitaux.
  • Pour l’Europe, la baisse du dollar réduit les coûts d’importation, mais pénalise lourdement les exportateurs.
  • Ce mouvement pourrait durer un moment, à moins d’un changement de cap politique aux États-Unis ou d’un choc exogène majeur.