Depuis quelque temps, on reparle beaucoup du déficit et de la dette publique de la France. Le 20 mars dernier, Emmanuel Macron a rameuté les ténors de son camp politique pour recueillir tous les avis sur une possible stratégie permettant d’endiguer la dérive des comptes publics.


Bien sûr, certains ont immédiatement sorti la carte de l’emprunt pour combler les pertes, mais là encore la dette du pays soulève déjà beaucoup d’interrogations et surtout suscite pas mal d’inquiétudes à un mois du verdict des agences de notation sur la solvabilité de la France.

Une dette impressionnante

Pour 2024, la France a annoncé un besoin de financement prévisionnel qui devrait atteindre 295,8 milliards d’euros, un chiffre impressionnant qui s’explique par un déficit budgétaire prévisionnel de 144,4 milliards, mais aussi et surtout des amortissements de dettes à moyen et long terme à hauteur de 156,4 milliards.

Sauf qu’on sait depuis le 26 mars 2024, suite aux dernières publications de l’INSEE sur le sujet, que le taux de déficit réel pour 2023 s’établit à 5.5% du PIB au lieu des 4.9 prévus par la loi de finances (à laquelle personne ne croyait, et pour cause), ce qui porte ledit déficit budgétaire à 154 milliards au lieu de 144… Par conséquent, il est probable que le besoin de financement qu’on pensait déjà considérable dépasse finalement les 300 milliards d’euros. Une façon comme une autre de fêter les 50 ans de déficit chronique de la France…

Quant à la dette proprement dite, elle a franchi le seuil des 3000 milliards d’euros (3046,9 milliards pour être précis), ce qui suscite la vigilance accrue des agences de notation comme des marchés financiers. Même si le volume réel de la dette négociable de l’État, c’est-à-dire contractée auprès d’investisseurs sous forme d’instruments financiers comme les obligations ou les bons du Trésor, s’élève “seulement” à 2463 milliards d’euros. Soit 88% du PIB…

Néanmoins, conscient de l’enjeu, le gouvernement français s’est bien sûr engagé à réaliser des économies substantielles dès cette année — comme à peu près chaque année depuis plus de 40 ans —, mais on sait qu’il y a un monde entre les intentions et les actes. D’autant plus que la tâche s’annonce ardue dans un contexte de prévisions de croissance revues à la baisse, visant désormais une progression de 1 % au lieu de 1,4 %.

graphique de la dette publique de la france de 1995 à aujourd'hui

Pourquoi une dette aussi élevée ?

Pour schématiser, on peut considérer que la dette publique de la France représente la somme des déficits budgétaires accumulés année après année, qu’il a fallu compenser par des emprunts sur les marchés financiers. Concrètement, cette situation résulte en grande partie de l’incapacité de la France à ne pas dépenser plus que ce qu’elle gagne, mais cette apparente incurie serait principalement justifiée par la préservation du système social français particulièrement généreux.

En effet, le pays propose un modèle social qui se caractérise par des dépenses publiques élevées destinées à financer les services de santé, l’éducation, les retraites et la protection sociale. Depuis quelques décennies, la faiblesse de la croissance économique — qui s’impose d’ailleurs à presque tous les pays fortement développés — accroît non seulement la difficulté à trouver des recettes fiscales en quantité suffisante, mais augmente aussi les dépenses publiques, par exemple celles correspondant aux allocations chômage.

Sans oublier la survenue de crises exceptionnelles, comme la crise financière de 2008 ou la pandémie de COVID-19, qui ont exigé des interventions étatiques massives, aggravant là encore la situation de la dette.

Quelles sont les craintes suscitées par la dette publique française ?

Comme tout endettement massif, la crainte première est celle de sa soutenabilité ; autrement dit, de la capacité de la France à pouvoir rembourser cette dette année après année sans devoir pour cela couper dans des dépenses indispensables. Selon certains responsables politiques, la situation économique du pays serait désormais comparable à celle qu’a pu connaître la Grèce il y a quelques années, faisant alors craindre pour la France un destin similaire qui pourrait d’ailleurs arriver plus vite que prévu si les agences de notation venaient à dégrader la note du pays.

À noter que cette comparaison ne tient bien évidemment pas la route puisque, comme le souligne Philippe Mutricy, directeur des études de BPI France, que ce soit en 2012 ou maintenant, « la taille du PIB n’est pas la même, la capacité à lever l’impôt n’est pas la même ; c’était la grande difficulté de la Grèce à l’époque« .

L’autre crainte, c’est que le niveau croissant d’endettement vienne se répercuter sur les ménages et les entreprises, à travers l’impôt notamment, alors que le pays est déjà champion du monde en matière de pression fiscale et sociale. Le gouvernement pourrait également choisir de faire des économies en dégradant, voire en supprimant, certains services publics.

Existe-t-il des solutions pour réduire l’endettement de la France ?

Bruno Le Maire le martèle depuis toujours : il n’est pas question d’augmenter les impôts. Enfin, pour les classes moyennes tout au moins, car la Présidente de l’Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet, a laissé entendre qu’une réflexion était en cours sur une éventuelle contribution exceptionnelle sur les superprofits des grandes entreprises, voire sur les dividendes de leurs plus gros actionnaires. Pas sûr que cela passe…

Quoi qu’il en soit, l’objectif annoncé reste de ramener le déficit en dessous des 3% d’ici à 2027un vœu pieux qu’il serait peut-être temps de réviser au regard de notre modèle social — et certaines pistes semblent d’ores et déjà privilégiées (un peu toujours les mêmes, d’ailleurs). Par exemple, le gouvernement envisage un nouveau « coup de rabot » de 10 milliards dans les finances publiques, même si on ne voit plus vraiment ce qu’on pourrait encore réduire comme dépenses, sachant que l’essentiel est constitué d’investissements d’avenir sur lesquels le pays ne peut pas faire l’impasse (recherche scientifique, industrie stratégique et militaire ou encore technologies de transition écologique), ainsi que des dépenses de financement du régime social (retraite et maladie) dont toute réforme est exclue sous peine de nouveau soulèvement social.

Il reste bien le régime d’allocation chômage qui en serait à sa troisième modification en 3 ans, mais une éventuelle réduction de la durée d’indemnisation ne permettrait pas forcément de faire des économies puisque beaucoup de demandeurs d’emploi qui ne seraient plus indemnisés basculeraient alors sous le régime du RSA qui, lui, n’est pas limité dans le temps et entraîne un certain nombre d’autres dépenses destinées à accompagner les publics socialement fragilisés.

Portrait de Bruno Le Maire
Portrait de Bruno Le Maire au World Economic Forum - source : WEF

Les arrêts maladie sont également dans le viseur de Bruno Le Maire : l’Assurance maladie les estime à 13,5 milliards d’euros, en hausse moyenne de 3,8 % par an depuis 2010, sans que la croissance démographique ni la hausse des salaires ne suffisent à l’expliquer. Mais il n’y a pas de réel consensus sur le montant susceptible d’être économisé, d’autant que l’essentiel des dépenses de l’assurance maladie (65%), c’est-à-dire celles sur lesquelles la moindre réforme pourrait permettre une baisse sensible, sont en réalité liées aux affections de longue durée et qu’il est bien évidemment totalement exclu d’y toucher.

Quant aux services publics comme l’école ou l’hôpital, ils sont déjà suffisamment sinistrés, inutile même de songer à leur faire supporter de nouvelles économies.

Enfin, des rumeurs insistantes laissent entendre que le gouvernement pourrait directement se servir dans l’épargne des Français, mais c’est évidemment très peu probable, même si certains membres de l’opposition parmi les plus populistes font déjà des calculs intégrant une réquisition plus ou moins forcée des comptes. En réalité, les seules allusions officielles sur ce sujet se succèdent déjà depuis plusieurs mois et visent surtout à envisager des produits de placement permettant aux Français (mais aussi aux Européens en général) d’épargner “utile”, autrement en injectant une partie de leur argent dans l’économie productive et certains investissements publics. Par exemple dans l’industrie de la défense.

Bref, si le mal est bien identifié, on est encore loin d’avoir trouvé le remède à l’endettement de la France.

La France risque-t-elle de faire faillite ?

Bien sûr que non !

Derrière toutes les rodomontades politiques, les prophéties catastrophistes et les analyses pointues en chandeliers ou en camemberts, la réalité est beaucoup moins angoissante.

Une règle des 3% sans réel fondement

Tout d’abord, puisque c’est lui qui est actuellement sous les feux de l’actualité, le déficit public est effectivement plus haut qu’attendu, plus haut même que celui de la plupart des autres pays de la zone euro — et surtout de plus en plus loin de la cible des 3% maximum —, mais cela ne signifie pas pour autant que le pays court à la ruine. En réalité, c’est presque le contraire pour la France.

J’entends déjà cliqueter les faux et les fourches des partisans de la rigueur financière, mais essayons de raisonner de manière honnête et objective. La fameuse règle des 3% qui s’applique désormais à toutes les économies de l’Union européenne a été inventée en France en 1982, ce qui est déjà une raison de se méfier quand on connaît la propension de nos politiques à décréter des règles dans l’urgence pour traiter un problème ponctuel. Des règles qu’on laisse ensuite perdurer sans plus vraiment de légitimité et qui deviennent des sortes de totems indéboulonnables sans qu’on ne sache plus trop pourquoi. À l’époque, c’est le président François Mitterrand qui souhaitait limiter les dépenses des ministres du gouvernement Mauroy, car les caisses étaient vides. Le statisticien Guy Abeille est mandaté en urgence pour trouver illico une règle facile à comprendre et il décide de partir d’un chiffre rond pour le déficit admissible (100 milliards de francs), ce qui représentait à l’époque… 3% du PIB du pays.

Guy Abeille dira plus tard que cette règle n’avait aucun fondement économique et qu’elle avait été fixée de manière hasardeuse, sans se reposer sur une quelconque étude scientifique. Cela n’a pas empêché la France de l’imposer à tous ses voisins lors de la construction de l’union économique et monétaire européenne, lors de la ratification du traité de Maastricht en 1992.

Du reste, on connaît de nombreux exemples de pays dont l’économie se porte très bien avec un déficit budgétaire supérieur au nôtre, comme les États-Unis par exemple qui affichent un déficit de 6.5% environ, tandis que d’autres pays comme l’Allemagne traversent de grosses difficultés économiques tout en affichant un niveau de déficit plus flatteur que celui de la France.

Une dette mal comprise et surtout mal présentée

En ce qui concerne la dette proprement dite, c’est vrai qu’elle dépasse désormais le produit intérieur brut du pays, mais cette comparaison pourtant systématique ne veut pas dire grand-chose. C’est un peu comme si on comparait le montant total d’un crédit immobilier au seul revenu annuel d’un ménage. Certes, vous avez peut-être emprunté 200 000 euros pour acheter votre résidence principale alors que vous ne disposez que d’un revenu de 30 000 euros par an (par exemple), mais ce n’est pas pour autant qu’on va en déduire que vous êtes au bord de la faillite personnelle. Les durées d’appréciation ne sont simplement pas les mêmes.

Ainsi, la dette française est constituée de plusieurs types d’emprunts aux durées variables. La durée de vie moyenne de la dette de l’État est actuellement de 8 ans et 164 jours, mais certains emprunts ont des échéances à 50 ans. Tenter de la rapporter au PIB d’une seule année constitue donc, dans le meilleur des cas, une erreur de raisonnement. Des esprits chagrins pourraient aller jusqu’à y voir une certaine forme de malhonnêteté intellectuelle.

En attendant, la France continue à emprunter à des taux toujours très favorables, car elle jouit d’une excellente image auprès des investisseurs, en dépit de ce que peuvent publier les agences de notation. Et surtout, même si on ne peut nier des gaspillages scandaleux et des mesures de politique budgétaire peu pertinentes parfois, la majorité des dépenses de la France restent cohérentes au regard des défis rencontrés par le pays, que ce soit en interne ou à l’international. Car quoi qu’on en pense, les deux premiers postes de dépenses publiques sont les dépenses de protection sociale (40,8 %) et les dépenses de santé (15,6 %). Avec l’enseignement (9%) et la défense (3,1%), on arrive déjà à presque 70% du budget de l’Etat. Difficile d’envisager de rogner sur ces quatre postes essentiels.

Est-ce le meilleur moment pour tenter de réduire la dette de la France ?

Tout ceci étant dit, selon l’adage qui veut que « qui paie ses dettes s’enrichit », l’idéal serait en effet que la France réduise son endettement. Mais les lourds investissements engagés par le pays dans la transition écologique notamment, ou encore dans la recherche, sans oublier le poids toujours croissant du système de répartition sociale alors que la population vieillit et que la croissance ralentit, font que les besoins de financement sont de plus en plus importants.

La difficulté à faire des réformes, au risque de provoquer une certaine instabilité sociale et politique, ainsi que les risques géostratégiques qui prennent une ampleur inédite depuis deux ans, incitent au contraire à accentuer le renforcement de la protection des individus comme des intérêts de l’État. Les investisseurs l’ont d’ailleurs parfaitement compris puisque l’annonce du nouveau déficit public porté à 5.5% du PIB n’a pas fait frémir les marchés, et le CAC 40 a même continué à performer alors qu’il est déjà actuellement à ses plus hauts niveaux historiques.

Et, signe que la situation est préoccupante à un autre niveau que celui purement statistique de savoir si on est de bons élèves au regard de règles comptables purement arbitraires, le cours de l’or lui aussi, en sa qualité de valeur refuge ultime en cas de crise grave, continue à battre records sur records.

Ce qu’il faut retenir :

  • La dette de la France atteint désormais des records, renforcée par un déficit public plus haut que prévu.
  • Mais cette dette reste justifiée par la préservation d’un système social français particulièrement généreux.
  • Le gouvernement espère évidemment réduire les coûts de fonctionnement du pays, mais les mesures envisagées risquent d’être ni très efficaces ni très pertinentes ; certaines sont même assez peu applicables.
  • Contrairement à ce que prétend l’opposition, la France ne risque pas de faire faillite.
  • La règle des 3% de déficit est sans fondement.
  • La dette est à la fois mal comprise et mal présentée.
  • Enfin, ce n’est peut-être pas le moment de songer à réduire la dette de la France.

Bruno GONZALVEZ

Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses, tout en vulgarisant les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.