Depuis l’an dernier, on reparle beaucoup du déficit et de la dette publique de la France. Le 20 mars 2024, Emmanuel Macron avait d’ailleurs réuni les ténors de son camp politique pour discuter d’une stratégie permettant d’endiguer la dérive des comptes publics. Mais depuis, l’histoire politique du pays s’est emballée, avec une dissolution de l’Assemblée nationale et deux gouvernements dont un poussé à la démission sans pouvoir voter un budget pour 2025, après une censure des députés, ce qui a presque fait passer la question de la dette au second plan.

Néanmoins, la situation reste aujourd’hui préoccupante, et les tensions budgétaires s’accentuent à la veille de la présentation des premières orientations budgétaires pour 2026. Si certains envisagent toujours de recourir à l’emprunt pour combler les pertes, la dette nationale soulève des inquiétudes croissantes. D’autant plus que l’échéance du prochain verdict des agences de notation sur la solvabilité de la France approche à grands pas, dans un contexte économique mondial marqué par des incertitudes géopolitiques et une inflation persistante.

Une dette impressionnante

Pour 2025, le besoin de financement prévisionnel annoncé par le gouvernement et l’Agence France Trésor s’élève à 306,7 milliards d’euros, un chiffre qui s’explique par un déficit budgétaire estimé à 135,6 milliards d’euros et des amortissements de dettes à moyen et long terme atteignant 174,8 milliards d’euros, en hausse de 19,7 milliards d’euros par rapport à 2024. Le besoin de financement dépasse donc les 300 milliards d’euros pour la deuxième année consécutive, dans un contexte où les taux d’emprunt ne semblent pas vouloir fléchir, bien au contraire.

La dette publique, qui quant à elle avait déjà franchi un cap historique (environ 3 303 milliards d’euros, soit ~114 % du PIB) en décembre 2024, a continué d’augmenter très rapidement au premier trimestre 2025 : selon l’INSEE, elle a ainsi progressé de 40,5 milliards d’euros, pour atteindre 3 346 milliards fin mars. Le Haut Conseil des finances publiques anticipe désormais un ratio dette/PIB de 115,4 % en 2025, un nouveau record dépassant même celui la crise sanitaire !

Ce seuil est d’autant plus significatif que l’inflation ne cesse de reculer, se situant entre 0,7 et 1% depuis le début de l’année 2025.

Ainsi, malgré des engagements répétés à réaliser des économies substantielles, le gouvernement se heurte à des prévisions de croissance moroses : la progression du PIB pour 2025 est désormais fixée à 0,6 %, contre 1,2 % puis 0,9% initialement anticipés. Certes, dans un rapport de juillet 2025, le FMI envisage la possibilité d’un redressement à 1% pour 2026 … à condition que les réformes structurelles avancent. Problème, la quasi-stagnation actuelle complique la mise en œuvre de ces mêmes réformes budgétaires indispensables à cette reprise de la croissance, tout en accentuant les pressions sur les finances publiques. L’histoire du serpent qui se mord la queue.

graphique représentant la dette publique de la France exprimée en pourcentage du PIB et en milliards d'euros

Un début de plan de redressement ?

Dans un récent discours de juillet 2025, le Premier ministre Bayrou a qualifié la dette publique d’« insoutenable » (113,7 % du PIB, soit environ 3,3 trillions d’euros), avec un coût du service de la dette de 44,5 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget de la défense. Il a alors proposé un plan de 43,8 à 44 milliards d’euros d’économies qui prévoit le gel des dépenses pour un an, la rationalisation des dépenses de santé, un impôt logements ciblé sur les plus riches, et la suppression de deux jours fériés (près de 4,2 milliards d’euros de recettes potentielles). Autant dire qu’entre celles qui sont assez peu réalistes et les autres qui s’apparentent à du « bricolage budgétaire », ces propositions ont déclenché une vive opposition aussi bien publique que politique.

Résultat, les marchés recommencent à se méfier de la France, qui apparaît désormais comme un emprunteur moins sûr, à l’image de certains de ses voisins jusqu’ici considérés comme les mauvais élèves de l’Europe : le taux à 10 ans a ainsi dépassé les 3 %, réduisant l’écart avec l’Italie à seulement 0,14 point, un signal rare depuis la crise financière de 2008.

Pourquoi une dette aussi élevée ?

La dette publique française s’explique avant tout par l’accumulation de déficits budgétaires successifs, nécessaires pour financer des dépenses dépassant systématiquement les recettes. Cette situation reflète la difficulté chronique du pays à équilibrer ses finances depuis presque 50 ans, dans un contexte où le modèle social repose sur une prodigalité publique toujours plus importante. La France consacre en effet 32,2% de son PIB aux dépenses sociales (notamment les retraites), ce qui en fait le pays le plus dépensier dans ce domaine.

En outre, ces dernières années, la pandémie de COVID-19 ainsi que les crises énergétiques et géopolitiques (notamment la guerre en Ukraine) ont considérablement creusé les déficits publics qui étaient déjà abyssaux. En 2024, la flambée des prix de l’énergie a encore alourdi la dette par la mise en place de nouvelles mesures de soutien au profit des ménages et des entreprises.

Enfin, les engagements pris dans le cadre de la transition écologique et les dépenses liées à la modernisation des infrastructures de défense (notamment dans le cadre de la montée des tensions internationales) ont renforcé les besoins de financement de l’État.

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Quelles sont les craintes suscitées par la dette publique française ?

Comme tout endettement massif, la principale crainte réside dans la soutenabilité de la dette. La France sera-t-elle capable de rembourser ses emprunts tout en maintenant un niveau de dépenses publiques suffisant pour assurer les services essentiels ?

Le 13 décembre 2024, Moody’s a décidé d’abaisser la note de crédit à long terme de la France de « Aa2 » à « Aa3 », notation confirmée le 11 avril 2025 mettant en garde contre les conséquences d’un endettement élevé combiné à une croissance faible. Si cette situation ne menace pas immédiatement la solvabilité du pays, elle accentue la méfiance des investisseurs internationaux. Quant aux autres agences de notation, elles ne sont guère plus optimistes :

  • Fitch : Notation AA‑, perspective Negative, maintenue en mars 2025
  • S&P : AA‑, perspective Negative, confirmée en mai 2025
  • DBRS : AA (high), perspective Negative, relevée en mars 2025

Une autre inquiétude concerne l’impact sur les ménages et les entreprises. Dans un contexte de pression fiscale déjà élevée, de nouvelles hausses d’impôts ou des réductions de services publics pourraient fragiliser davantage l’économie. Certains économistes craignent également que la dégradation de la note souveraine entraîne une augmentation des taux d’intérêt, rendant la dette encore plus coûteuse à financer.

Existe-t-il des solutions pour réduire l’endettement de la France ?

En dehors des « pistes » évoquées par François Bayrou durant l’été, le gouvernement continue à croire en un retour du déficit public sous les 3% du PIB pour 2029 (une échéance initialement fixée à 2027…). Et pour cela, les propositions semblent se répéter année après année, sans jamais être mises en œuvre :

  • Réduction des dépenses publiques : Un nouvel effort d’économies de 10 milliards d’euros est prévu en 2025 (pour arriver au total de 53 milliards voulu par le Premier ministre), notamment par une réforme des dépenses sociales et un contrôle accru des arrêts maladie, cette dernière mesure ayant déjà été retoquée par le Conseil Constitutionnel en 2023.
  • Taxation exceptionnelle : Bien que le gouvernement écarte toute hausse généralisée des impôts, des discussions sur une contribution exceptionnelle des entreprises ayant réalisé des superprofits ont été relancées en 2024. On parle également d’une “CVAE additionnelle” qui n’est en réalité rien d’autre qu’une augmentation déguisée de la CVAE.
  • Mobilisation de l’épargne privée : Des produits d’investissement orientés vers le financement de projets stratégiques (transition énergétique, défense) ont été lancés pour canaliser l’épargne des Français vers l’économie productive, mais cela reste encore assez flou.

Même si elles devaient voir le jour, toutes ces mesures ne semblent pas en mesure de résoudre le problème structurel de la dette publique. C’est sans doute la raison pour laquelle l’actuel Premier ministre continue à sortir de nouvelles idées de son chapeau pratiquement chaque semaine. Sauf que la plupart de ces propositions sont souvent d’anciens projets remis au goût du jour, ou bien encore des pistes purement théoriques qui n’ont que très peu de chances d’être applicables.

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La France risque-t-elle de faire faillite ?

Même si le tableau est sombre, la réponse est clairement non.

C’est vrai que la situation budgétaire française est préoccupante, mais par exemple la comparaison avec des pays comme la Grèce est inappropriée. La taille de l’économie française comme sa capacité à lever l’impôt restent des atouts majeurs et la solvabilité du pays repose sur des bases solides. Sans compter que la situation des deux pays n’a rien à voir : en 2009-2012, le taux d’intérêt grec avait atteint plus de 30% à son pic, alors que la France se finance actuellement à moins de 3% sur 10 ans.

En outre, la dette publique française est majoritairement libellée en euros et émise sous droit français, ce qui réduit les risques liés à une crise de la dette souveraine. Enfin, les investisseurs continuent de percevoir la France comme un emprunteur fiable, malgré les avertissements des agences de notation.

Est-ce vraiment le moment de réduire la dette de la France ?

Si l’endettement de la France doit être réduit à moyen terme, les circonstances actuelles plaident pour une certaine prudence. Les crises successives ont montré l’importance d’un État fort capable de mobiliser des ressources en cas d’urgence. Réduire la dette trop rapidement pourrait compromettre les investissements essentiels dans des secteurs stratégiques.

Les marchés financiers semblent partager cet avis, comme en témoigne la résilience des taux d’intérêt français et la bonne tenue du CAC 40 qui, malgré un gros trou d’air en avril dernier, a gagné près de 600 points depuis le début de l’année, flirtant avec les 8000 points en cette fin août 2025. Par ailleurs, la hausse continue du cours de l’or, valeur refuge par excellence, illustre la persistance des incertitudes économiques et géopolitiques.

Ce qu’il faut retenir :

  • La dette de la France atteint désormais des records, renforcée par un déficit public plus haut que prévu.
  • Mais cette dette reste justifiée par la préservation d’un système social français particulièrement généreux.
  • Le gouvernement espère évidemment réduire les coûts de fonctionnement du pays, mais les mesures envisagées risquent d’être ni très efficaces ni très pertinentes ; certaines sont même assez peu applicables.
  • Contrairement à ce que prétend l’opposition, la France ne risque pas de faire faillite.
  • La règle des 3% de déficit est sans fondement.
  • La dette est à la fois mal comprise et mal présentée.
  • Enfin, ce n’est peut-être pas le moment de songer à réduire la dette de la France.

Bruno GONZALVEZ

Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.