Oublié depuis près de 50 ans, le mot « stagflation » revient écorcher la bouche des journalistes mais surtout des politiques qui ne savent plus trop comment concilier leurs belles théories avec la dure réalité économique.
Pour beaucoup, la stagflation c’est le retour aux années 1970, à l’inflation galopante, aux taux d’intérêt stratosphériques, à la crise énergétique et à la fin des Trente Glorieuses. La situation actuelle est un peu différente, en particulier parce qu’on ne sort pas d’une période socio-économique prospère, loin s’en faut. Mais l’année 2022 n’en signe pas moins un brutal retour sur Terre, véritable coup d’arrêt aux illusions cultivées depuis la crise financière de 2008 dans le but de restaurer la confiance des individus comme des entreprises.
Mais finalement, c’est quoi la stagflation ? Comment se caractérise-t-elle aujourd’hui ? Et quelles vont en être les conséquences pour nous, consommateurs, épargnants, citoyens ?
Définition de la stagflation ?
Techniquement, la stagflation désigne une situation économique très particulière qui combine une forte inflation — caractérisée dans la vie de tous les jours par une importante hausse des prix — et une récession, l’autre nom qui désigne le ralentissement de la croissance économique. En théorie, une telle situation est impossible, l’inflation excluant d’office la récession et vice-versa. La plupart des études menées depuis le XIXe siècle montrent d’ailleurs qu’une hausse des prix ne peut pas s’accompagner d’une faible croissance.
Pourtant, on sait aujourd’hui que l’impossible peut arriver, et surtout qu’on n’a pas vraiment de solution car, malheureusement, les réponses que l’on apporte habituellement à l’inflation sont exactement à l’opposé de celles qui permettent de résoudre une récession.
Ainsi, on l’a vu lors de la crise sanitaire de 2020-2021, face à une baisse de l’activité économique, les gouvernements ont tendance à mettre en place des politiques monétaires et fiscales expansionnistes. Autrement dit, ils injectent davantage d’argent dans l’économie — le fameux « quoi-qu’il-en-coûte » du Ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Plus d’argent en circulation signifie argent moins cher, ce qui encourage alors les agents économiques, notamment les entreprises, à emprunter, à se développer et à embaucher. De leur côté, les consommateurs utilisent davantage le crédit et envisagent des achats importants.
L’ennui c’est qu’une telle politique est de nature à générer de l’inflation : plus d’argent en circulation signifie effectivement argent moins cher mais aussi argent ayant moins de valeur face à l’offre de biens et services à la disposition des agents économiques. Les produits marchands ont donc tendance à s’échanger contre davantage de monnaie (puisqu’elle perd de la valeur), donc les prix montent. Et quand l’inflation devient trop importante — on considère que c’est le cas au-delà de 2% par an —, les gouvernements doivent restreindre l’offre de monnaie dans le système afin de rendre les emprunts plus coûteux. Ce qui freine la consommation et les investissements. L’économie globale ralentit alors et, la demande diminuant, les prix cessent d’augmenter.
La stagflation impliquerait donc que l’on augmente la masse monétaire en circulation… et qu’on la diminue en même temps. On comprend aisément le problème. Mais on ne peut pas non plus ne rien faire, au risque de voir la stagflation se prolonger et causer de nombreux dommages dans l’économie, au nombre desquels la remontée brutale du chômage constituerait sans doute, comme au début des années 80, la conséquence la plus violente et la plus durable pour les particuliers.
Une stagflation en 2022, ou quand l’impossible se (re)produit !
Premier point commun entre 1973 et 2022, le prix de l’énergie. En effet, même si l’augmentation des prix du gaz et du pétrole a été amorcée depuis plusieurs mois, la récente entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine et les sanctions commerciales qui s’en sont ensuivies ont fait exploser les cours des énergies fossiles dont Moscou maîtrise les robinets pour une bonne part de la consommation européenne.
Autre point commun, la guerre justement : au Moyen Orient pour les années 70 (guerre du Kippour entre Israël et ses voisins arabes), aux portes de l’Europe aujourd’hui. On pourrait aussi évoquer la fragilité des monnaies (après la fin des accords de Bretton Woods en 1971, et après les nombreuses crises financières entre 2008 et 2020), ou encore la fin d’une période de relative insouciance.
Certes, toutes ces situations se sont déjà produites à de nombreuses reprises depuis 1973, ne serait-ce qu’au cours de la dernière décennie, qu’il s’agisse de la hausse des prix du pétrole (2011-2014), des guerres (Irak, Afghanistan, Syrie…), de la désillusion des populations, ou même des crises financières majeures (2008, 2012…), mais c’est peut-être la première fois depuis 50 ans que toutes ces conditions se trouvent réunies simultanément.
Un dernier élément explique sans doute aussi que nous nous retrouvions de nouveau confrontés aux vieux démons nés des chocs pétroliers des années 1970. En 2021, le formidable rebond post-covid a propulsé les économies à leurs plus hauts depuis 20 ans. Après presque 2 ans passés sous cloche et une récession comme on n’en avait pas connu depuis la Seconde Guerre mondiale, la croissance est brusquement repartie à la hausse, comme pour rattraper le retard accumulé. Mais une fois son niveau d’avant-crise retrouvé, son ralentissement était inévitable, et tous les économistes s’accordaient au début de l’année 2022 sur un retour probable à court terme de la croissance « normale », c’est à dire molle à quasi nulle, qui caractérise les économies occidentales depuis 2001-2002. C’est dans ce contexte que l’explosion des cours du pétrole, du gaz, mais aussi des matières premières nous a cueillis, provoquant une inflation comme on n’en avait plus vu depuis la fin du XXe siècle.
Et si on suppose que les mêmes causes créent les mêmes effets, alors on peut craindre qu’en l’absence de réponse adéquate (et on sait déjà qu’il n’y en a pas), comme après les deux premiers chocs pétroliers, les années à venir se révèlent particulièrement douloureuses sur le front de l’emploi, de la consommation et de l’épargne.
L’emploi et la consommation, premières victimes de la stagflation
Pour l’instant, le marché du travail semble se maintenir en France. L’an dernier, notre pays a créé plus de 700 000 emplois, mais on estime qu’une bonne partie d’entre eux sont liés à la reprise rapide de l’activité économique après deux années de ralentissement pour cause de Covid-19. Avec la reprise d’une croissance en rythme de croisière entre 1 et 2% par an, il semble peu probable que les entreprises continuent à embaucher avec la même intensité. D’autant que les politiques économiques très généreuses destinées à soutenir l’activité vont s’arrêter et ne plus reprendre avant longtemps. Comme le dit Bruno Le Maire au début du mois de mars en préambule d’une conférence sur l’indépendance énergétique : « Un deuxième quoi qu’il en coûte ne serait pas la bonne réponse au choc énergétique, car cela reviendrait à jeter de l’essence sur un incendie » .
On peut donc s’attendre à ce que le nombre de cessations d’activité, qui avait considérablement diminué entre 2020 et 2021, reparte de plus belle en ajoutant aux faillites « habituelles » toutes celles des entreprises maintenues sous perfusion durant la crise sanitaire et qui n’avaient survécu que grâce aux aides de l’État.
De la même façon, toujours selon le Ministre de l’Économie, un deuxième plan massif d’aides publiques ne ferait qu’alimenter l’augmentation des prix. Or l’inflation est déjà bien plus forte qu’elle ne l’a jamais été depuis une trentaine d’années, et son impact sur la consommation va forcément contribuer à ralentir encore la croissance, affaiblissant les entreprises qui auront de plus en plus de mal à rentabiliser leurs investissements ou à embaucher, voire tout simplement à préserver les emplois existants.
On peut donc s’attendre à une remontée du chômage à moyen terme, d’autant que les banques centrales semblent avoir choisi de rehausser progressivement leurs taux d’intérêts. Or, c’est exactement ce qu’elles avaient déjà fait en 1973 dans l’espoir de contenir l’inflation, ce qui avait finalement tué le peu de croissance qui subsistait et déclenché une véritable explosion du chômage.
La stagflation va réduire la capacité d’épargne
En remontant les taux d’intérêt pour maîtriser la hausse des prix, les banques centrales veulent donc réduire la quantité de monnaie en circulation : argent plus cher, donc moins d’emprunts et incitation à se désendetter, avec finalement moins de monnaie disponible. Mais elles vont aussi et surtout provoquer un recul des investissements et de la consommation, pour exactement les mêmes raisons. Bien sûr, on pourrait penser que des taux d’intérêt plus élevés favorisent l’épargne, qui s’en trouve dès lors mieux rémunérée. Mais la réalité est bien plus complexe.
Tout d’abord, il n’est pas certain que ces politiques monétaires suffisent à faire baisser les prix, car une grosse partie de l’inflation est due à la raréfaction de certaines matières premières, énergétiques ou pas, sur laquelle la politique économique ne peut pas faire grand chose. Une demande en baisse ne rendra pas ces produits plus faciles à se procurer et donc ne changera pas beaucoup leur prix. On pourra évidemment tenter de développer des offres alternatives, notamment en matière énergétique, mais le coût des investissements nécessaires à leur mise en place massive (un coût d’ailleurs renforcé par la hausse des taux d’intérêt) risque fort de les rendre très chères à l’usage pendant un bon moment encore. Et tout ce que l’on dépensera en plus pour acheter de l’énergie classique plus chère, ou encore pour passer aux énergies alternatives, sera autant d’argent en moins qu’on pourra épargner.
Rappelons ensuite que cette méthode de lutte contre l’inflation s’accompagne d’une baisse de la croissance. Et comme on l’a vu plus haut, c’est l’emploi qui va en pâtir en dernier ressort. Même avec des taux d’intérêt plus attrayants, il est plus difficile d’épargner quand on est au chômage. Quant à ceux qui conserveront leur emploi, dans un contexte de récession qui pénalise lourdement les entreprises, ils auront beaucoup de mal à obtenir des augmentations de salaire pour continuer à épargner tout en consommant des produits toujours plus chers, car même si on parvient à contenir l’inflation, elle ne disparaître pas du jour au lendemain. Sans oublier un accès plus limité au crédit qui freinera l’investissement locatif et toutes les autres méthodes permettant de se constituer un patrimoine à long terme.
En 1979, après le 2e choc pétrolier, l’inflation et le chômage s’étaient durablement installés, et le taux d’épargne des Français à alors brusquement chuté de 21% à 11% du revenu disponible brut, soit un niveau jamais enregistré depuis la Seconde Guerre mondiale. En 2021, après avoir stagné près de 20 ans aux alentours de 14%, ce même taux d’épargne avait de nouveau atteint 21%… juste avant le choc inflationniste de 2022 que d’aucuns comparent déjà en intensité à celui des années 1970. Doit-on craindre que l’histoire se répète là aussi et que l’épargne souffre de la stagflation ? C’est probable.
Une publication du Conseil d’Analyse Économique (CAE) en date du 22 mars 2022 indiquait que 20% des Français, qui sont aussi les plus pauvres, ont d’ores et déjà consommé la surépargne accumulée sur leurs livrets pendant la pandémie. Quant aux plus riches, leur épargne a certes continué à croître, mais principalement sous l’effet de la hausse des marchés financiers. Une hausse qui risque fort de ne pas durer, et qui a d’ailleurs déjà commencé à refluer depuis le début des hostilités en Ukraine.
On sait que les obligations sont les premières à voir leur valeur baisser en cas de hausse des taux d’intérêt, et que les actions en profitent temporairement. Mais cette même hausse des taux d’intérêt créant un ralentissement de l’économie, et donc une moindre croissance des entreprises, les actions elles-mêmes finissent toujours par s’effondrer elles aussi. Certains analystes, comme ceux de l’Union bancaire suisse (UBS) prévoient ainsi que les places boursières du monde entier pourraient perdre 40% à 50% en cas de stagflation.
Christine Lagarde et la BCE continuent à nier l’éventualité d’une stagflation
Et pourtant, malgré tous les signes énoncés plus haut qui semblent concorder vers un profil « stagflationniste » de l’économie, Christine Lagarde a récemment déclaré que cette éventualité ne faisait pas partie des différents scénarios retenus par la Banque Centrale européenne. Alors qu’elle était interrogée par le quotidien slovène Delo, elle a en effet précisé que, contrairement aux années 1970 qui font référence lorsqu’on parle de stagflation, la situation actuelle n’avait rien à voir avec celle d’il y a 50 ans. Certes, il y a des points communs, au nombre desquels on peut citer l’augmentation brutale du prix des produits pétroliers — plus ou moins liée à un conflit armé impliquant des pays exportateurs d’importance stratégique — ou encore une croissance ralentie et une certaine « fragilité » monétaire (l’abandon de l’étalon-or en 1971, contre les différentes crises financières qui se succèdent actuellement depuis 2008). Mais, il y a aussi de grandes différences, et notamment l’absence (pour l’instant !) de répercussions de la hausse des prix sur les salaires. Rien que cette seule variable suffit, selon Madame Lagarde, à distinguer radicalement la situation de 2022 avec celle de 1973.
Et pour cause, c’est bien l’augmentation des revenus censée compenser l’inflation dans les années 70 qui n’a fait en réalité que l’amplifier par le phénomène désormais bien connu de « spirale inflationniste » :
prix élevés → augmentation des salaires pour préserver le pouvoir d’achat et soutenir la consommation → hausse des coûts de production pour les entreprises → nouvelle hausse des prix pour préserver les marges → etc.
Aujourd’hui, même si on sent bien que la tendance va vers un relèvement des rémunérations à court ou moyen terme (le SMIC en est déjà à sa troisième revalorisation en 6 mois), la solution des aides ponctuelles semble encore privilégiée par la plupart des gouvernements européens qui continuent à considérer cette période d’inflation comme passagère. D’autant que la croissance n’est pas si désastreuse que cela, même si elle bénéficie encore très certainement d’un effet de rebond post-Covid et qu’elle devrait très bientôt renouer avec un progression plus modeste. Par conséquent, la situation actuelle a peut-être tous les signes d’une stagflation, il semble que les plus hautes institutions en charge de la bonne tenue de l’économie soient parvenus à des conclusions différentes.
Quoi qu’il en soit, face à de si fortes incertitudes, on ne saurait trop rappeler que la première des précautions d’un épargnant est de diversifier ses placements, en renforçant si possible la part des valeurs refuges qui permettent de passer les moments les plus difficiles sur le plan économique et financier. On parle bien évidemment d’immobilier, mais aussi d’or et d’argent qui voient généralement leurs cours s’apprécier fortement en période de crise. Avec, dans le cas des détenteurs d’un compte VeraCash®, la possibilité d’utiliser la plus-value de leur épargne en métaux précieux comme un véritable complément de pouvoir d’achat, grâce à leur carte de paiement associée pour les achats du quotidien.
Bruno GONZALVEZ
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses, tout en vulgarisant les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.
Très belle vulgarisation du sujet!
Merci Kabeya.