Parfois considéré comme l’or des pauvres, l’argent se révèle pourtant vital pour l’économie mondiale. Car c’est non seulement un métal précieux, mais aussi une matière première indispensable pour de nombreux secteurs industriels. Or, si en 2023, la demande mondiale s’est élevée à 33 000 tonnes, seules 26 000 tonnes d’argent ont été extraites du sol. La disponibilité du métal est donc devenue une préoccupation majeure.
Un contexte souvent difficile pour la production d’argent
Des pays producteurs pas toujours très stables
La production d’argent est principalement concentrée dans quelques pays clés. En 2023, le Mexique était le premier producteur mondial, avec environ 6 400 tonnes extraites du sol. Suivaient au coude à coude la Chine et le Pérou, avec respectivement 3 400 et 3 100 tonnes chacun.
On peut évoquer aussi le Chili, la Bolivie ou la Russie (aux productions beaucoup plus modestes), mais le point commun de beaucoup de ces pays, outre la richesse en argent de leur sous-sol, c’est qu’ils doivent très souvent faire face à d’importants défis. Des difficultés économiques, certes, mais aussi parfois des troubles sociaux ou politiques qui peuvent faire obstacle à une production régulière et sans problèmes.
Une exploitation souvent dépendante d’autres métaux
On n’extrait pas l’argent du sol comme on le fait avec l’or. Certes, dans quelques mines dites « primaires », chaque tonne de minerai contient suffisamment d’argent pour être rentable. Mais la plupart des exploitations sont constituées de mines « secondaires », où l’argent n’est qu’un sous-produit de l’extraction d’autres métaux comme le cuivre, le zinc ou le plomb.
Selon les données du Silver Institute, environ 70 % de l’argent extrait provient de ces mines secondaires, ce qui signifie que l’industrie de l’argent dépend largement de celles des autres métaux. La production d’argent reste donc sensible aux fluctuations de la demande pour ces métaux moins nobles.
Une production d’argent menacée de plusieurs façons
L’argent se raréfie
Même si on estime qu’il doit rester environ 250 000 tonnes d’argent dans la croûte terrestre, tout ce métal est loin d’être entièrement accessible. En attendant, les gisements existants s’épuisent et de nombreuses exploitations historiques connaissent une baisse de rendement inexorable, année après année. Un récent rapport du Silver Institute montre ainsi que les mines au Mexique et au Pérou, bien qu’encore très productives, affichent des signes de déclin en termes de pureté des gisements.
Dans le même temps, les nouvelles découvertes de gisements restent rares et obligent les entreprises minières à explorer des zones géographiques de plus en plus reculées.
Régulations et contraintes
Au-delà de l’épuisement des gisements, le coût d’extraction de l’argent a également augmenté au fil des ans. Les dépenses d’infrastructure, mais aussi de sécurité dans certaines régions instables, ainsi que l’extraction à des profondeurs toujours plus importantes sont autant de facteurs qui font grimper les coûts. Enfin, dans certaines régions d’Amérique du Sud, l’ouverture de mines de plus en plus isolées ajoute des contraintes énergétiques et logistiques qui rendent les opérations minières moins rentables.
Il existe également de fortes pressions environnementales autour de l’industrie minière. Les préoccupations concernant les impacts écologiques des exploitations (pollution des sols et des eaux, consommation d’énergie) entraînent des régulations plus strictes. Des projets miniers sont ainsi régulièrement suspendus ou abandonnés en raison d’oppositions locales ou de normes plus contraignantes.
Facteurs géopolitiques
Rappelons aussi que certaines régions clés pour la production d’argent, notamment en Amérique latine, sont soumises à une instabilité politique et économique quasi constante. Des mouvements sociaux, des grèves dans les mines et des changements législatifs affectant la fiscalité ou les conditions de travail peuvent perturber la production. Le Pérou, par exemple, a connu ces dernières années des troubles sociaux affectant directement ses secteurs extractifs.
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Une demande d’argent en hausse
Du côté de la demande, l’argent ne s’est jamais aussi bien porté, car au-delà de la bijouterie (20% de la demande), le métal est principalement utilisé dans l’industrie, où ses nombreuses qualités physico-chimiques et sa grande polyvalence sont devenues indispensables. Or cette demande contribue à la raréfaction de l’argent disponible. Surtout que, dans certains processus chimiques, le métal utilisé est irrémédiablement détruit sans pouvoir être recyclé.
Un accroissement de la demande industrielle
Ainsi, les propriétés de conductivité électrique et thermique de l’argent en font un matériau incontournable pour les circuits électroniques, les batteries, ainsi que les composants de téléphones et d’ordinateurs. En 2022, environ 50 % de la demande mondiale d’argent provenait de cette industrie et cette tendance ne cesse de croître avec la montée en puissance de la 5G ou encore de l’intelligence artificielle.
L’argent joue également un rôle essentiel dans le secteur des énergies renouvelables, notamment dans la fabrication des panneaux solaires photovoltaïques qui représente environ 10 % de la demande mondiale. Selon des projections du Silver Institute, transition énergétique oblige, les technologies solaires pourraient représenter près de 20 % de la demande totale d’ici 2030.
De l’argent parfois définitivement “consommé”
Si une grande partie de l’argent utilisé dans les industries précitées reste potentiellement réutilisable (sous réserve de rendre le recyclage économiquement justifié), il existe d’autres secteurs dans lesquels l’argent disparaît lors de son utilisation. C’est ainsi le cas dans le secteur de la santé, où le métal est utilisé pour ses propriétés antibactériennes dans des pansements ou des équipements médicaux, voire de réactif chimique ou d’ingrédient dans des solutions antiseptiques. Et cette utilisation ne cesse de croître à une époque où les germes pathogènes se montrent de plus en plus résistants aux antibiothérapies classiques.
L’argent plus que jamais valeur-refuge
Enfin, l’argent est également une valeur refuge pour les investisseurs, surtout en période d’incertitude économique. Et avec les pressions inflationnistes récentes, sans oublier l’instabilité géopolitique qui a tendance à enflammer la planète un peu partout, l’intérêt pour l’argent en tant qu’actif d’investissement s’est intensifié. En 2022, selon le Silver Institute, la demande en argent pour l’investissement (lingots, pièces) a augmenté de 20 % par rapport à l’année précédente.
Le risque de pénurie est-il réel ?
Si on analyse froidement l’offre et la demande d’argent, on constate clairement des signes de déséquilibre potentiel à moyen et long terme. Le risque de pénurie n’est peut-être pas immédiat, mais plusieurs facteurs convergent pour rendre cette éventualité de plus en plus plausible.
Un déséquilibre croissant entre l’offre et la demande
Selon le Silver Institute, la production minière mondiale d’argent a légèrement reculé depuis 2022, tandis que la demande globale a augmenté de 19 %, atteignant un niveau record.
Si cette tendance se poursuit, l’offre pourrait ne plus répondre à la demande d’ici la fin de la décennie. Selon certaines études (BloombergNEF ou WorldBank, par exemple), la demande d’argent pourrait augmenter de 30 à 40 % d’ici 2030, principalement en raison des besoins accrus des industries des énergies solaires et des véhicules électriques.
Les conséquences d’une pénurie
En cas de pénurie, l’impact serait considérable. Les prix de l’argent connaîtraient une flambée qui pourrait freiner l’accès à ce métal pour les secteurs essentiels comme les énergies renouvelables. D’autres industries pourraient même être forcées de trouver des alternatives, probablement moins efficaces.
Un autre effet serait l’augmentation de la spéculation sur les marchés financiers, aiguisant l’appétit de gros investisseurs qui capteraient de grandes quantités d’argent pour les revendre au compte-goutte et au prix fort, ce qui accentuerait les difficultés d’approvisionnement. Certains observateurs prévoient même une hausse des mouvements de nationalisation des ressources dans certains pays producteurs, réduisant encore davantage l’offre disponible sur le marché international.
Bref, bien que la production mondiale d’argent soit encore capable de répondre à la demande actuelle, les signes avant-coureurs d’une pénurie sont bien présents. Et finalement, après avoir été si souvent éclipsé par l’or, l’argent pourrait bien devenir l’un des piliers de l’économie du XXIe siècle.
Ce qu’il faut retenir :
- La production d’argent se concentre essentiellement dans des pays peu stables économiquement et politiquement.
- 70% de l’argent extrait n’est qu’un sous-produit de l’extraction d’autres métaux comme le cuivre, le zinc ou le plomb.
- La production d’argent est donc largement dépendante de la demande pour ces autres métaux.
- L’épuisement des gisements existants reste la plus grande menace pour la production d’argent.
- Les nouveaux gisements se font rares, les coûts d’exploitation explosent et de nombreuses compagnies renoncent à ouvrir de nouvelles mines, voire en ferment régulièrement.
- La demande d’argent augmente, surtout portée par des besoins industriels croissants.
- Même si on ne craint pas de pénurie à court terme, le déséquilibre croissant entre l’offre et la demande suscite beaucoup d’inquiétude.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses, tout en vulgarisant les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.