L’or papier, appelé aussi parfois « or métal non alloué », recouvre un ensemble de produits financiers qui permettent de spéculer en bourse sur les mouvements du prix de l’or sans jamais détenir la moindre once de métal physique. Dit autrement, il s’agit d’une classe d’actifs qui ne font que refléter l’état du marché de l’or, sans pour autant correspondre à la quantité d’or réellement disponible auprès des émetteurs. Ce sont donc des outils risqués, soumis à la volatilité des marchés financiers, et qui sont d’ailleurs menacés par la nouvelle législation internationale.
Un outil de spéculation en bourse
On le répète souvent sur ce blog et ailleurs, l’or est une valeur refuge, c’est-à-dire un actif qui permet de sécuriser une partie de son patrimoine en lui évitant les sursauts des marchés financiers. D’ailleurs, l’or n’est plus coté à la bourse de Paris depuis 2004, et il n’est donc officiellement plus possible d’utiliser le métal précieux pour spéculer sur les marchés depuis cette date. Néanmoins, justement parce que l’or constitue toujours une réserve de valeur universellement reconnue, les traders ont très vite cherché à conserver la possibilité de profiter des performances du métal jaune par l’intermédiaire d’indices, de trackers et autres ETF (pour « Exchange Traded Fund » ou « fonds négociés en bourse ») créés pour l’occasion.
L’ennui avec l’or papier c’est que de nombreuses personnes ont pu y voir un produit comparable à la « pierre papier », cette autre classe d’actifs basée sur la seconde valeur refuge chère aux Français, à savoir l’immobilier locatif. Sauf qu’il n’y a aucun point commun entre les deux : là où les titres de « pierre papier », comme les SCPI par exemple, confèrent au détenteur un véritable droit de propriété sur une partie d’un bien immobilier, l’or papier n’octroie strictement aucun droit sur quelque parcelle de métal que ce soit.
L’or papier ou l’art de vendre du placement à risque
En clair, lorsqu’on achète de l’or papier (trackers, certificats, ETF…), on ne possède pas réellement de l’or, mais plutôt une sorte de « droit général » sur une quantité de métal donnée. Pour dire les choses plus crûment, quand l’acheteur d’or physique détient une quantité de métal inaliénable, l’investisseur en or papier possède simplement… du papier.
Pire encore, ces instruments financiers n’étant que de simples créations intellectuelles émises par des institutions bancaires qui ne possèdent en réalité que très peu (voire pas du tout) d’or physique en contrepartie, la question se pose de leur garantie en cas de faillite de l’émetteur. Car, non seulement le client titulaire d’un compte « non alloué » ne possède pas l’or qu’il a acheté, mais il n’est finalement qu’un créancier de la banque comme les autres. Et en cas de faillite, il n’aura d’autre choix que de faire la queue comme tout le monde pour essayer de récupérer son argent.
L’or papier maintient le cours de l’or physique artificiellement bas
Curieusement, ces défauts ne suffisent pas à décourager les investisseurs, au contraire : la grande majorité de l’or négocié aujourd’hui n’est pas constituée de métaux précieux (pièces ou lingots d’or) mais de « certificats ». Plus exactement, selon la London Bullion Market Association (LBMA), la quantité annuelle d’or papier échangée par les banques représente 1 500 000 tonnes… contre 100 tonnes d’or physique réellement en leur possession.
Outre le risque considérable que cela fait courir aux investisseurs, cette situation a eu également pour effet de maintenir artificiellement les cours de l’or au plus bas depuis des dizaines d’années. En effet, la valeur de l’or est en grande partie liée à sa rareté. Mais comme les marchés tiennent compte de l’or papier pour déterminer la quantité de métal précieux en circulation, les prix sont très loin de refléter la valeur réelle de l’or physique, le seul qui compte en définitive.
L’or papier vient gonfler le bilan des banques en masquant leur fragilité
On l’a dit, ces produits dérivés ne reposent pas sur une contrepartie physique mais sur la promesse d’une contrepartie éventuelle. La valeur de ces titres réside donc principalement dans la confiance qu’ils inspirent ; une confiance basée ici sur l’existence d’une quantité d’or correspondante. Et peu importe si la même quantité d’or sert de garantie à de multiples contrats. L’écrasante majorité de l’or ainsi échangé étant « créé » selon un principe de compensation interbancaire, il peut donc figurer au bilan des banques comme s’il s’agissait d’actifs tangibles.
Cependant, les récentes crises financières ont mis en évidence la fragilité structurelle de tous les grands acteurs du marché bancaire dont les bilans avaient justement été gonflés par des procédés du même genre. C’est pourquoi, sous l’impulsion du Conseil de stabilité financière et du G20, les accords de Bâle III sont venus réformer le système financier actuel en exigeant notamment des banques qu’elles détiennent désormais au moins 85 % de la valeur de l’or papier qu’elles distribuent. Et ce dès le 28 juin 2021.
L’application de Bâle III pourrait-elle faire grimper le cours de l’or ?
L’une des conséquences possibles de cette nouvelle donne réglementaire pourrait bien être une augmentation notable du cours de l’or. Car pour se conformer aux derniers accords de Bâle, les banques vont devoir soit acheter des quantités considérables d’or physique afin de garantir les titres émis (ce qui va mécaniquement tirer les cours vers le haut), soit limiter de manière drastique la vente d’or papier (vraisemblablement en augmentant fortement les prix). On peut également imaginer qu’elles doivent en racheter une grande partie pour les éliminer de la circulation, ce qui là encore fera grimper les prix sous l’effet conjugué de la rareté et de l’augmentation de la demande.
Dans les faits, il est toutefois peu probable que ce soit aussi simple. D’abord, les banques ne pourront pas acquérir plusieurs dizaines de fois la quantité d’or physique qu’elles détiennent actuellement, car il n’y a tout simplement pas assez de métal disponible sur la planète. Quant au rachat ou la conversion des titres déjà en circulation, cela exigerait de telles sommes que c’est totalement inenvisageable. D’ailleurs, deux des groupements les plus puissants du monde de l’or – la London Bullion Market Association (LBMA) et le World Gold Council (WGC) – ont déjà prévenu que Bâle III serait tout simplement inapplicable et pourrait causer la faillite d’une grande partie du secteur de la banque d’investissement.
Au final, le cours de l’or va certainement être sous pression dans les semaines et les mois à venir. Mais même s’il devait augmenter, on peut parier que la hausse restera contenue, les principales banques internationales ayant sans doute déjà prévu de faire pression sur les institutions européennes pour « ralentir » l’agenda réglementaire et obtenir un assouplissement « très significatif » de Bâle III.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses, tout en vulgarisant les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.