On sait qu’il existe une très grande diversité de profils parmi les investisseurs, mais c’est vrai que certains sont plus inattendus que d’autres. A l’instar de ces communautés de Soeurs catholiques qui opèrent avec succès sur les marchés financiers, aussi bien en Amérique du Nord qu’en France.

La Bourse pour préserver une vie spirituelle dans un monde matériel

Il fut un temps où les congrégations religieuses pouvaient compter sur la générosité des croyants pour subvenir à leurs besoins, qu’il s’agisse de dons de la part des fidèles, de dotations de riches notables qui leur confiaient leurs filles afin de les soustraire aux tentations du vaste monde, ou tout simplement des largesses de seigneurs locaux qui espéraient ainsi secrètement s’acheter une virginité morale dans l’autre monde. Certaines de ces communautés pouvaient également tirer subsides d’une activité artisanale ou agricole, et cette tradition perdure encore aujourd’hui.

Mais en 2023, tout cela ne suffit plus, à plus forte raison quand on sait que dans les communautés religieuses aussi, le vieillissement est inexorable et qu’il n’est plus possible aux Soeurs encore en activité de compenser l’absence de toutes celles qui sont désormais trop âgées pour travailler. Par conséquent, il a bien fallu trouver un moyen de gagner de l’argent pour assurer une vie décente aux pensionnaires de ces communautés de prière, à commencer par les plus vénérables. Et ne venez pas leur parler de vœu de pauvreté, car elles ne cherchent pas à s’enrichir mais simplement à préserver leur mode de vie dans un monde qui ne les reconnaît plus autant qu’autrefois.

Comme souvent, la solution est venue d’Outre-Atlantique et, que ce soit au Canada ou aux Etats-Unis, de nombreuses congrégations ont depuis une vingtaine d’années choisi d’investir en bourse pour un montant cumulé qui s’élève désormais à plusieurs dizaines de millions de dollars. Mais pas n’importe comment.

Des investissements en accord avec la morale chrétienne

Pendant longtemps, l’Eglise catholique interdisait les placements ou les prêts à intérêt, considérés comme usuraires et immoraux. Cette interdiction a finalement été levée, mais si les investissements ne sont plus prohibés, ils doivent en revanche être éthiques et respectueux des normes morales. Cela implique de sélectionner en amont les entreprises qui respectent ces normes, voire qui contribuent au bien-être de la société, avant de songer à en acheter des parts.

L’association Éthique et Investissement a été la première en France à organiser et formaliser les règles d’investissement financier des congrégations religieuses féminines. Créée en 1983 par Soeur Nicole Reille, cette association a pour but de former les sœurs à l’actionnariat boursier en vue de financer leurs retraites. Mieux encore, elle participe activement à la recherche sur l’éthique des affaires et travaille avec les pouvoirs publics pour une meilleure prise en compte des valeurs humaines dans la finance ; en particulier les valeurs de justice sociale et de respect de l’environnement.

Toutes les valeurs RSE qui prennent aujourd’hui une place de plus en plus significative en matière d’investissement responsable étaient donc déjà au cœur des préoccupations des communautés de sœurs il y a quarante ans. 

Un contrôle nécessaire pour des enjeux capitaux

D’ailleurs, une association similaire est née en 2000 au Canada, qui porte le nom de Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises, ou… RRSE. La mission de cet organisme a d’ailleurs évolué au fil des années pour en faire aujourd’hui un véritable acteur du contrôle RSE, lequel enquête sur les sociétés qui se prétendent vertueuses et publie des rapports qui font trembler pas mal d’entreprises à travers le monde.

Car non seulement l’investissement éthique et responsable est devenu un véritable enjeu économique majeur, qui peut littéralement faire chuter les cours de bourse de compagnies qui auraient pu vouloir s’en affranchir, mais l’Eglise elle-même a tout intérêt à ce que ses membres ne se retrouvent pas empêtrés dans des histoires de placements peu conformes à ses valeurs.

Ainsi, en 2018, on apprenait que l’Eglise catholique en Allemagne avait investi dans des entreprises impliquées dans la production d’armes et de munitions. Il ne s’agit là que d’un exemple d’investissement malheureux, sans doute davantage lié à la méconnaissance qu’à une véritable volonté de s’enrichir sans se soucier de l’origine des fonds. Mais l’Eglise est déjà suffisamment marquée par un grand nombre de scandales au nombre desquels elle préfère sans doute éviter d’ajouter une politique d’investissement qu’on pourrait suspecter de cynique ou d’amorale.

Un potentiel d’investissement important

En 2021, il y avait au moins une cinquantaine de congrégations religieuses féminines (et une dizaine de communautés masculines) réellement actives sur les marchés financiers. On sait également que plus de 30 diocèses ont souscrit pour près de 100 millions d’euros au fonds d’actions européennes E.T.H.I.C.A. créé en 2008 pour permettre aux institutions ecclésiastiques de bénéficier de revenus du capital en accord avec la doctrine chrétienne. Ainsi pas de ventes d’armes, pas de pornographie ni de jeux d’argent. Sont également exclues les entreprises du tabac et, bien évidemment, celles qui ne respectent pas les droits de l’homme ou qui nuisent à l’environnement.

En France, on compte 93 diocèses, soit trois fois plus que ceux qui ont déjà adhéré à ce fonds, et l’Eglise catholique se trouve à la tête d’un patrimoine financier de 1,6 milliard d’euros. On voit donc que le potentiel d’intérêt des congrégations religieuses est encore loin d’être pleinement assouvi en matière d’investissements socialement et éthiquement responsables : une raison supplémentaire pour les entreprises de poursuivre leurs efforts en matière d’engagements RSE.