Début août, on apprenait que les Pays-Bas étaient officiellement entrés en récession au deuxième trimestre 2023. Au premier trimestre, c’était déjà le cas de l’Allemagne, première économie européenne, dont la fragilité désormais bien visible menace la stabilité de toute la zone euro.
Doit-on dès lors craindre une situation similaire pour la France à brève échéance ? Nul ne saurait le dire vraiment. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’historiquement, toutes les économies, y compris celle de la France, ont connu des cycles d’expansion et de contraction. Et, malgré une reprise relative de la croissance depuis 18 mois, notre pays semble déjà montrer quelques signes précurseurs d’une récession ou, tout au moins d’une faiblesse économique préoccupante.
Par conséquent, la France n’est pas à l’abri d’une prochaine récession, laquelle dépendra comme toujours d’une combinaison complexe de facteurs économiques, financiers, politiques et pourquoi pas géopolitiques. Des facteurs qui constituent autant d’indicateurs économiques dont certains préoccupent actuellement de plus en plus les experts.
Les indicateurs économiques qui suscitent actuellement des inquiétudes en France
On l’a dit, prédire une récession est un exercice particulièrement délicat. Toutefois, plusieurs indicateurs économiques peuvent constituer des signaux d’alerte. Parmi eux, on trouve l’inversion de la courbe des taux.
L’inversion de la courbe des taux : un signe de future récession ?
Derrière cette dénomination plutôt hermétique et qui semble réservée aux économistes chevronnés, on trouve en réalité une situation assez simple qui se caractérise par des taux d’intérêt à court terme plus élevés que ceux à long terme.
Des chiffres concrets seront sans doute plus parlants. Voici par exemple les différents taux d’intérêt actuellement en vigueur en France :
Comme nous pouvons le constater, les taux d’intérêt à court terme (par exemple, 1 mois, 3 mois, 6 mois) sont actuellement plus élevés que la plupart des taux à long terme (par exemple, 2 ans, 3 ans, 4 ans, 5 ans, 10 ans, etc). En tant qu’emprunteurs, on pourrait trouver cela normal tant il est vrai que nous avons l’habitude d’obtenir des crédits à taux plus élevés à court terme qu’à long terme. Mais quand on parle d’investissement institutionnel, c’est très différent.
En réalité, cette situation constitue même une anomalie puisque, en temps normal, et sachant qu’il est plus risqué de bloquer de l’argent à long terme qu’à court terme, les investisseurs se voient généralement offrir une rémunération plus attractive pour placer leur argent sur une longue période. Or, là, il semble au contraire qu’on cherche surtout à attirer de l’argent frais à court terme en offrant des taux courts plus intéressants.
Les causes d’une inversion de la courbe des taux
Outre un choix délibéré des pouvoirs publics à offrir des conditions avantageuses pour les emprunts à court terme, plusieurs raisons peuvent expliquer une hausse trop rapide des taux courts. Par exemple, si les investisseurs anticipent un ralentissement économique ou une récession, ils vont privilégier des placements sûrs, comme les obligations d’État à long terme par exemple, ce qui risque d’en augmenter le prix (puisque la demande augmente) et donc d’en faire baisser le rendement (ou taux d’intérêt).
Autre exemple, en période de stress financier, les banques peuvent se montrer réticentes à se prêter de l’argent entre elles à court terme, car nombreuses sont celles dont la solvabilité est incertaine. Cette réticence va donc également contribuer à faire grimper les taux d’intérêt à court terme.
Bien sûr, tous ces éléments ne pèsent pas de la même façon sur l’évolution de la situation actuelle, mais ils sont en revanche autant de signes qui montrent une perte de confiance dans l’économie à moyen et long terme. Et historiquement, ce genre de situation a presque toujours précédé une récession économique.
Les autres facteurs économiques inquiétants
Néanmoins, il n’est pas du tout certain que cette inversion de la courbe des taux débouche inéluctablement sur une récession. Il s’agit simplement d’un indicateur parmi d’autres. Et justement, de nombreux autres facteurs influencent l’économie.
Il suffit par exemple d’une augmentation soudaine et prolongée du chômage (le taux de chômage français reste obstinément au-dessus du pourcentage moyen de l’Union européenne), d’une baisse de la consommation des ménages (en net repli de 3 à 4% par an depuis 2021) ou encore une chute des investissements des entreprises (seul point où la France continue à se maintenir en territoire positif pour l’instant) pour craindre avec raison un ralentissement économique à brève échéance.
Quels sont les risques réels d’une récession imminente en France ?
La France, à l’instar de nombreux pays développés, a traversé une période économique tumultueuse ces dernières années, exacerbée par la pandémie de COVID-19. Si la reprise économique post-pandémie a été plus rapide que prévu, certains indicateurs montrent des signes de faiblesse.
- PIB : Après une contraction significative en 2020, la croissance du PIB français a rebondi en 2021 avant de connaître une progression moins forte qu’attendue en 2022. Quant aux projections pour 2023 et au-delà, elles montrent un net ralentissement qui va perdurer, au risque même d’aboutir à une évolution nulle du PIB (à noter que le PIB moyen de la zone euro est pour l’instant négatif pour le début de l’année 2023, même si les projections de la BCE prévoyaient une progression de 0.7%…).
- Chômage : Le taux de chômage a évidemment augmenté pendant la pandémie, mais il a commencé à se stabiliser. Néanmoins, il concerne encore 7,2% de la population active (contre 6.5% pour la zone euro et 5.9% pour l’Union européenne), et certains secteurs, comme le tourisme et l’hôtellerie, peinent encore à retrouver leurs niveaux d’emploi d’avant la crise.
- Inflation : Comme dans de nombreux pays, la France connaît une inflation plus élevée que la normale, alimentée par des perturbations de la chaîne d’approvisionnement et une demande accrue. Si cette tendance persiste, elle pourrait peser sur le pouvoir d’achat des ménages.
Les armes anti-récession de la France
Fort heureusement, la France possède plusieurs atouts qui pourraient éventuellement la protéger d’une récession profonde. Par exemple, même s’il a été fortement désindustrialisé durant ces 50 dernières années, notre pays dispose encore d’une économie relativement diversifiée, avec des secteurs forts tels que l’agriculture, la technologie, le tourisme et la finance. Et en économie, ce n’est pas la première qu’on vous le dit, la diversification est l’un des facteurs-clés de la survie en période troublée.
De la même façon, le gouvernement français a déjà prouvé sa capacité à mettre en place des mesures de soutien économique d’urgence en cas de crise (ce fut le cas pendant la pandémie notamment), telles que des prêts garantis par l’État et des aides directes. Autant de dispositifs qui ont aidé à maintenir l’économie malgré la tourmente. Cependant, cette force est aussi une faiblesse, car cette sécurité étatique coûte très cher et que la dette publique française est déjà élevée, ce qui limite la marge de manœuvre du gouvernement en cas de nouvelle crise.
Une dépendance dangereuse à l’économie internationale
Et puisqu’on en est à parler des faiblesses, il ne faut pas oublier non plus que la France est également très dépendante de son commerce extérieur, en particulier vers d’autres États européens. Ainsi, qu’il s’agisse des importations comme des exportations, même si notre pays était en capacité de préserver son activité en interne, tout ralentissement économique chez nos principaux partenaires commerciaux pourrait avoir des répercussions aussi néfastes que considérables. D’autant plus qu’en étant l’un des acteurs majeurs de la zone euro, notre économie est étroitement liée à celles de nos voisins. Si plusieurs pays européens majeurs devaient entrer en récession (on parle notamment de l’Allemagne qui montre des signes inquiétants), cela pourrait créer un effet domino, rendant plus difficile pour la France d’éviter une récession elle-même.
Enfin, d’une manière plus globale, on a vu avec la crise sanitaire de 2020-2021 et la guerre en Ukraine que toute perturbation majeure de la chaîne d’approvisionnement mondiale ou augmentation significative des prix avait un impact négatif sur l’économie française. Impact contre lequel on ne pouvait rien. Certains secteurs importants pour notre économie, tels que le tourisme, l’aéronautique et l’automobile, sont d’ailleurs particulièrement sensibles à ce genre de chocs économiques mondiaux
Bref, si la France possède quelques atouts qui pourraient la protéger des effets d’une nouvelle crise majeure, elle n’est pas à l’abri d’une récession.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses, tout en vulgarisant les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.