Lancé le 1er janvier 2002, l’euro a donc 20 ans aujourd’hui et, depuis quelques semaines, la plupart des médias rivalisent d’ingéniosité éditoriale pour retracer son parcours, que ce soit au travers de bilans, de rétrospectives ou même de critiques.

Car la monnaie unique européenne suscite bien des passions, en plus de faire couler beaucoup d’encre. On l’accuse souvent de tous les maux, principalement en France où le souvenir du franc reste encore aujourd’hui très vivace, entretenu il est vrai par certains mouvements d’opinion plus ou moins politisés. L’euro aurait ainsi privé les États de leur souveraineté monétaire, il aurait affaibli notre économie, accéléré l’inflation et irrémédiablement déséquilibré notre balance commerciale. Du côté des particuliers, ce n’est guère mieux puisque la devise honnie aurait tout simplement permis de masquer une hausse des prix brutale qui perdurerait encore aujourd’hui, tout en alignant peu à peu les revenus des Français sur ceux des pays de l’Union aux coûts de main d’oeuvre les plus bas.

Une monnaie encore jeune qui peine à susciter l’adhésion

En réalité, l’euro souffre bien de plusieurs défauts, c’est vrai, mais pas forcément ceux dont on l’accable. Tout d’abord, c’est une monnaie extrêmement jeune dans l’histoire monétaire mondiale, c’est même la plus jeune des devises majeures (après le Yuan, le Yen, le Dollar ou encore la Livre Sterling). Et la nouveauté n’est pas toujours bien perçue au sein de la population, à plus forte raison quand elle touche l’une des valeurs les plus anciennement ancrées dans les mentalités.

Car la monnaie, c’est avec le drapeau l’un des plus forts symboles d’appartenance nationale. Quand on sait que 47,8 millions des Français ont plus de 25 ans (source Insee 2022), cela signifie que 70% de la population a connu la France d’avant l’euro, celle du franc, cette période qu’on fantasme aujourd’hui et qu’on a tendance à considérer comme meilleure parce que, bien sûr, c’était tellement mieux avant.

Mais l’euro, c’est aussi une monnaie moderne, en ce sens qu’elle n’a pas traversé l’histoire ni connu de bouleversements majeurs au gré des différents régimes politiques, des évènements historiques ou encore des moments fédérateurs qui auraient pu lui forger une identité forte. L’euro n’a pas non plus vécu le temps où les devises représentaient encore une valeur tangible, l’époque où « l’argent » du porte-monnaie n’était que la contre-valeur de la vraie richesse, celle qui était détenue dans les coffres de l’État sous forme de métaux précieux bien solides. Non, l’euro fut une construction autant politique qu’économique, fondée sur la dette dès sa naissance, et dont l’objectif premier était de régler les problèmes de changes flottants qui gangrenait la compétitivité européenne depuis les années 1970 et la fin des accords de Bretton Woods.

Une création purement technique et politique

L’euro est donc surtout et avant tout une réponse technique à une difficulté financière internationale, bien loin des préoccupations premières des individus. Difficile alors de demander aux populations d’y adhérer sans réserve et d’oublier les monnaies historiques auxquelles elles étaient viscéralement attachées, au profit d’un outil financier dont l’acte de naissance lui-même (le Traité de Maastricht de 1992) en fait l’instrument des politiques économiques et des banquiers centraux, sans véritablement s’intéresser aux gens qui vont devoir travailler, consommer, payer, investir et tout simplement vivre au quotidien avec lui.

L’euro n’a pas été créé à échelle humaine, il l’a été au niveau des États ; il n’a pas été pensé pour répondre aux besoins des individus, mais pour servir les intérêts politiques et économiques des institutions. Un rôle important, certes, mais qui n’a pas su susciter l’engagement des particuliers car ils ne se sont pas reconnus dans cette monnaie.

Alors, on a fait de l’euro l’épouvantail idéologique de tous les extrémismes politiques, notamment durant les périodes pré-électorales comme celle que nous vivons en ce moment. On l’a stigmatisé, souvent à outrance, en lui prêtant des effets délétères qu’il n’avait pas, et même parfois contre lesquels il permettait de lutter. On l’a désigné comme le coupable idéal de tout ce qui va de travers depuis 20 ans, et même avant ! Enfin, on a utilisé ses failles, ses manquements (car il en a, indéniablement) ainsi que les dérèglements qu’il a pu causer au sein des économies des pays de l’Union, pour faire oublier tous les avantages et les bénéfices qu’il a pu générer, non seulement pour les États, mais pour les populations elles-mêmes.

L’euro aurait masqué une hausse des prix sans précédent depuis 2002

Ainsi, la première critique que l’on entend sur l’euro, non pas parce que c’est la plus importante mais bien parce que c’est celle qui est portée par la population au quotidien, c’est qu’il a provoqué, puis favorisé à long terme, une hausse des prix à la consommation sans précédent. Une hausse d’autant plus pernicieuse qu’elle s’est opérée à l’occasion d’un changement de devise dont la parité avec la précédente était tout sauf évidente (1 euro pour 6,55957 francs), ce qui interdisait quasiment toute comparaison immédiate par le commun des mortels.

Car les plus de 20 ans s’en souviennent, l’une des activités principales, sinon favorites, des consommateurs du tournant du siècle était de convertir systématiquement en francs défunts tous les nouveaux prix en euro naissants. De véritables fortunes se sont construites sur la vente de petits convertisseurs de poche (qui faisaient souvent office de calculatrice basique, reconnaissons-le), tous les commerçants se faisaient un devoir de mentionner les prix en euros assortis de leur valeur en ancienne devise, c’était d’ailleurs une obligation. Et cela a duré plusieurs années ! L’intention était louable, mais cela n’a fait que rendre la transition plus pénible encore, car plus longue et plus à même d’alimenter les regrets à l’égard d’une devise chargée d’histoire et de symbolique qu’on semblait refuser d’abandonner une bonne fois pour toutes.

Or, durant cette transition, l’inflation déjà existante ne s’est pas arrêtée, les prix à la consommation ont continué à progresser normalement (entre 1,7% et 2,1% durant la période 2000-2005). Et lorsque les derniers feux du franc se sont éteints — c’est-à-dire lorsqu’on a définitivement cessé de convertir — , les biens et services marchands étaient effectivement plus chers qu’avant l’entrée en vigueur de l’Euro. Mais ce n’était pas liée à l’euro lui-même, juste l’effet normal de l’ajustement des prix sur l’inflation. Certes, il y a peut-être eu quelques arrondis à la marge, histoire de ne pas traîner des millièmes d’euros ou bien pour faire des comptes ronds, mais cela n’a généralement influé que de manière négligeable sur les prix.

Et puisqu’on parle des prix à la consommation, rappelons tout de même qu’ils augmentaient en moyenne de 3 à 5 % par an entre 1985 et 1995, et même de 10 à 15 % par an lors de la décennie précédente. Autant de périodes que certains idéalisent aujourd’hui parce qu’on utilisait le franc et non pas l’euro. Depuis 2002, l’inflation n’a pratiquement jamais dépassé 2,1% (sauf en 2008 où elle a atteint 2,8%) et s’établit en moyenne à 1,39 % par an.

Finalement, on pourrait donc considérer que l’euro a contribué à contenir la hausse des prix depuis vingt ans. De manière plus pragmatique, s’il fallait 10 minutes de travail à un ouvrier payé au SMIC pour s’acheter une baguette de pain en 1970, il ne lui en fallait plus que 6 minutes en 2002… et 5 minutes aujourd’hui. Même si la seule baguette de pain ne suffit pas à caractériser le pouvoir d’achat des Français, elle n’en sert pas moins de principale référence (avec le carburant) aux détracteurs de l’euro pour étayer leurs théories, et constitue néanmoins un bon indice de comparaison pour montrer que la réalité est contraire aux accusations portées contre la monnaie unique.

L’euro nuirait à la balance commerciale de la France

Si on élève un peu le niveau des griefs et qu’on les porte à la hauteur des problèmes économiques rencontrés par les États depuis le début du siècle, on se rend compte que, là encore, ils ne résistent pas à l’analyse. Par exemple, on a dit de l’euro qu’il ne faisait que donner l’illusion au continent européen de peser dans le jeu économique mondial. Hier comme aujourd’hui, le dollar a toujours dominé les transactions internationales. Mais si avant 2002, la part de chaque devise européenne était quasiment négligeable en termes de montant dans les échanges internationaux, l’euro est désormais la 2e monnaie la plus utilisée au monde, en particulier à l’extérieur de l’Union européenne. Cela signifie que, grâce à la monnaie unique, chaque État membre voit sa part augmenter sensiblement dans le commerce international.

Toujours sur le même thème, certains s’émeuvent justement de la force de l’euro, qui serait une gêne pour les exportations et induirait un déficit chronique de notre balance extérieure. Selon les défenseurs de cette théorie, une monnaie forte (en moyenne il faut 1,2 USD pour 1 €) serait un frein aux achats et aux investissements venant de l’étranger, tandis qu’une monnaie faible induirait un « effet d’aubaine » susceptible d’attirer les capitaux et les acheteurs. En réalité, cette théorie est fausse. L’exemple Suisse vient d’ailleurs le confirmer de manière imparable, avec une monnaie forte (le franc suisse est à peu près de la même force que l’euro face au dollar) et un excédent commercial quasiment permanent année après année. Quant au déficit de la balance commerciale de la France, il fait presque figure d’exception en Union européenne car, hormis notre pays, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, tous les autres États de la Zone euro connaissent une situation excédentaire.

Et puisqu’on aime bien rappeler « le temps d’avant » pour faire des comparaisons, évoquons la période 1981-1983 au cours de laquelle le gouvernement socialiste nouvellement arrivé au pouvoir a dévalué un franc déjà faible pas moins de 3 fois consécutives (oui, une dévaluation par an !), ce qui n’a pas empêché la France de connaître un déficit commercial record pour l’époque.

Enfin, notons pour la forme que la Zone euro dans son ensemble connaît depuis presque toujours un excédent commercial conséquent (par exemple +218 milliards d’euros en 2020 malgré la crise de la Covid-19), et ce malgré les piteuses performances de la France en la matière.

L’euro favoriserait l’inflation en Europe

Autre grief, l’euro favoriserait l’inflation actuelle. Or on sait pertinemment que la hausse des prix à la consommation, que ce soit pour les entreprises ou pour les particuliers, est principalement liée à la flambée des prix de l’énergie, notamment du gaz et du pétrole.

Dans une économie mondialisée où les transports représentent désormais une part importante des coût de production et de commercialisation, il est normal que les prix de vente des biens marchands grimpent pour absorber l’augmentation du prix des carburants, ainsi que des combustibles permettant d’alimenter les centrales énergétiques fournissant l’électricité nécessaire à la production industrielle.

Ajoutons à cela une crise sanitaire qui a désorganisé l’approvisionnement en matières premières et créé une pénurie de composants dans l’industrie (ce qui se traduit immanquablement par une baisse de la production), et on obtient le cocktail parfait pour générer une hausse de prix significative.

L’euro nous aurait appauvris

Reste l’appauvrissement des populations, qui demande un peu plus de nuances.

Dans les faits, de nombreux Français ont effectivement le sentiment d’avoir perdu en pouvoir d’achat depuis 20 ans. Mais c’est davantage un déclassement qu’un réel appauvrissement. En effet, le revenu moyen des plus modestes n’a cessé d’augmenter, au gré des politiques de redistribution mais aussi des augmentations de minima sociaux, à commencer par le salaire minimum. Le SMIC horaire a ainsi augmenté de 55 % depuis l’avènement de l’euro, passant de 6,83 euros brut en 2002 à 10,57 euros aujourd’hui, contre … 56 % au cours des 20 années précédentes. Soit plus ou moins la même chose alors que l’inflation était bien plus importante entre 1982 et 2002.

Les revenus des plus riches ont eux aussi fortement progressé, mais c’est la classe intermédiaire, dite aussi « classe moyenne » qui a le plus souffert avec un tassement de ses revenus qui se sont peu à peu rapprochés de ceux des classes socio-professionnelles plus basses (depuis 20 ans, le revenu médian progresse moins vite que le revenu moyen).

Or, là encore, le coupable n’est pas l’euro. C’est principalement le résultat des différentes politiques fiscales et sociales de ces 20 dernières années qui ont favorisé l’élévation du niveau de vie des plus pauvres — intention louable qui fait tout de même de la France le pays champion du monde en matière de prélèvements sociaux — sans pour autant toucher aux plus riches (rappelons la récente suppression de l’impôt sur la fortune par exemple), au prix finalement d’une paupérisation relative de la classe la plus active, celle dont les revenus ne provenaient ni du capital ni de la solidarité nationale, mais bien du travail.

La réalité d’un bilan plutôt largement positif

Au final, l’euro ne mérite pas le désamour qu’il suscite depuis toujours. Il n’est pas parfait, c’est vrai, mais aucune devise moderne ne l’est, car c’est le système monétaire tout entier qui mériterait d’être réformé aujourd’hui.

N’oublions pas non plus que la monnaie unique européenne est l’aboutissement d’un long processus de pacification du continent européen, unifiant sinon les nations, en tout cas les États, autour d’un projet d’avenir commun. La France a rarement (pour ne pas dire jamais) connu une si longue période de paix avec ses voisins, et c’est bien à la construction européenne qu’elle le doit. L’euro est venu parfaire cette entente en abolissant les barrières commerciales entre les États de l’Union, et on sait que le commerce est toujours plus fort que la guerre.

L’offre de capitaux plus abondants sur les marchés financiers, puisque adressée à l’économie de plusieurs pays, a permis d’abaisser les taux d’intérêt, au plus grand bénéfice des emprunteurs, entreprises comme particuliers, qui ont pu investir plus facilement.

La libéralisation sans frais des échanges sur un marché plus vaste a également permis l’enrichissement des entreprises qui ont vu leur zone de chalandise interne s’étendre à tous les pays de l’euro, avec des répercussions positives sur l’emploi et donc sur les individus.

Investissements, consommation, croissance, tous ces facteurs essentiels à la bonne santé économique des États ont largement profité de l’euro, dans un contexte mondial particulièrement compliqué et en dépit de crises internationales majeures qui auraient pu abattre les économies des pays les plus fragiles du continent européen. Des économies comme la nôtre, n’en déplaise aux apôtres d’une France impériale, éternelle et à jamais sur le toit du monde.

La réalité, bien plus triste, nous oblige à admettre qu’à l’aube du IIIe millénaire, notre pays n’était plus que l’ombre de ce qu’il avait pu être dans le passé : quasiment plus d’industrie, une dynamique d’innovation pratiquement à l’arrêt, une monnaie historique sans vigueur ni attrait, constamment dévaluée et soumise à une politique monétaire d’un autre âge pour tenter d’attirer des investisseurs étrangers de moins en moins intéressés par un vieux pays ne survivant que par l’impôt, avec un chômage structurel en perpétuelle augmentation et des perspectives d’avenir pour le moins assombries face à une mondialisation davantage subie qu’accompagnée.

L’euro : un atout pour l’avenir ?

Bref, la France d’aujourd’hui n’est peut-être pas encore le pays que nous souhaiterions avoir, mais il est plus solide que celui dans lequel nous vivions avant 2002. Principalement parce que, nous qui sommes si fiers de notre système de solidarité nationale, nous avons pu bénéficier de cette même solidarité, internationale cette fois, au sein d’une Union monétaire qui nous a aidés à faire partie d’un tout plus robuste et mieux armé face à l’avenir dans lequel nous avons toute notre place.

À cet égard, les fintech comme VeraCash® marquent le regain de cette innovation à la Française, et c’est aussi parce que nous sommes conscients que les valeurs dynamiques de l’euro peuvent compléter celles, plus tangibles et protectrices, des métaux précieux, que nous envisageons d’intégrer dans notre offre un futur wallet euros. Cette nouvelle option de répartition, en plus des métaux précieux, permettra à nos clients de payer leurs achats du quotidien sans toucher à leurs stocks d’or et d’argent, renforçant ainsi leur rôle de réserve de valeur.


Bruno GONZALVEZ

Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses, tout en vulgarisant les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.