Début mars 2021, la comparaison systématique, pour ne pas dire l’opposition, entre l’or et le bitcoin a trouvé une illustration particulièrement révélatrice dans la lutte d’influence à laquelle se livrent le père et le fils d’une famille de millionnaires américains auprès de leurs communautés respectives sur les réseaux sociaux. En effet, alors que Peter Schiff est un homme d’affaires bien connu aux États-Unis pour afficher une forte préférence pour l’or tout en rejetant farouchement le bitcoin, son propre fils a brusquement décidé  de basculer 100% de son portefeuille vers la célèbre cryptomonnaie honnie. Au point que le père a ensuite menacé publiquement de déshériter le rejeton si mal avisé, de peur qu’il ne dilapide plus tard la fortune durement acquise par son géniteur.

 

Tweet de Peter Schiff
« Je dois le déshériter. Sinon, il va dilapider ma richesse durement gagnée dans davantage de bitcoin. »

Derrière l’anecdote, que certains pourraient voir comme une énième réédition de la lutte des anciens contre les modernes, on décèle bien évidemment le choc de deux modèles économiques, mais sont-ils vraiment aussi incompatibles ? Et au-delà de leurs différences manifestes, ne peut-on pas envisager une certaine complémentarité ?

 

L’inconstance du bitcoin contre l’intemporalité de l’or

Si l’on ne devait retenir qu’une seule différence fondamentale entre l’or et le bitcoin, leur nature elle-même semble la plus évidente : physique et quasiment éternelle pour l’or, virtuelle et susceptible de disparaître à tout moment pour le bitcoin. Pour autant, outre leur légitimité économique également différente (le bitcoin est un actif spéculatif, l’or ne l’est pas), leur opposition va plus loin et recouvre aussi des aspects beaucoup plus pragmatiques, voire pratiques.

Ainsi, l’or est l’actif tangible par excellence, celui qui offre la meilleure réserve de valeur à travers le temps depuis des millénaires, tandis que, on l’a dit, le bitcoin repose sur l’absence totale de support physique qui pourrait sous-tendre sa valeur. De là découle son extrême volatilité, au point que son cours peut très bien devenir nul, sous influence de quelques personnes seulement, comme ce fut récemment le cas avec Elon Musk, tandis que l’or vaudra toujours quelque chose, ne serait-ce que par sa seule existence concrète. En effet, à la différence du bitcoin qui n’est rien d’autre qu’un ensemble de signaux numériques à la merci de la moindre panne technologique majeure, l’or ne peut pas disparaître.

 

Disponibilité et universalité divisent l’or et le bitcoin

Autre différence, l’or peut être stocké, et par là même thésaurisé, alors que le bitcoin ne le permet pas : seule la clé privée qui rend possible les transferts entre différents comptes est protégée. Et, n’en déplaise aux tenants de l’inviolabilité des protocoles informatiques, c’est encore une vulnérabilité que ne connaît pas le métal précieux. Certes, il arrive que des malfaiteurs s’emparent d’or physique, ou encore que certains « trésors » disparaissent, mais les montants concernés restent limités car l’or, c’est lourd et ça prend de la place. Pour rappel, la France est l’un des pays qui possède le plus d’or dans les coffres de sa banque centrale avec l’équivalent de 115 milliards d’euros, soit… 2500 tonnes !

Du côté des bitcoins, en revanche, on ne compte plus les piratages informatiques se soldant par la disparition de plusieurs millions de dollars à chaque fois, ou encore les comptes devenus inaccessibles à cause de clés perdues, de données corrompues, de disques durs endommagés ou formatés… Selon la plateforme Chainalysis, spécialisée dans la cybersécurité et les cryptomonnaies, on compterait plus de 3.5 millions de bitcoins perdus ou bloqués sur les quelque 18,5 millions déjà créés. Soit l’équivalent de 210 milliards de dollars au cours du jour !

Toutefois, cette aptitude à concentrer un maximum de valeur dans un minimum d’espace (si on peut considérer de la mémoire informatique comme une forme d’espace) peut être perçue à l’avantage du bitcoin. Avec l’or, ce n’est pas la même chose de vouloir échanger l’équivalent de 100 euros ou de 100 millions d’euros, ne serait-ce qu’au niveau du poids de métal qu’il faut déplacer : 2 grammes dans le premier cas, contre 2 tonnes pour le second. Le problème disparaît avec le bitcoin, et il est d’ailleurs totalement inutile de se déplacer en personne ou d’organiser la moindre logistique pour échanger n’importe quelle valeur, de la plus petite à la plus grande.

Néanmoins, l’or conserve une grande longueur d’avance en matière de reconnaissance et d’acceptabilité. À la différence du bitcoin dont l’utilisation reste encore relativement confidentielle malgré son essor considérable des 5 dernières années, l’or possède non seulement une valeur intrinsèque qui fait consensus en n’importe quel point du globe, mais il peut en outre être facilement échangé sans avoir besoin de technologie particulière ni même d’intermédiaire.

 

Or ou bitcoin, mêmes combats

Ce qui réunit les détenteurs d’or et de bitcoins, c’est la perte de confiance dans les politiques monétaires qui sont en œuvre depuis quelques décennies et qui ont érigé la dette comme instrument de création de richesse. Les nombreuses crises financières qui ont émaillé la vie économique mondiale depuis la fin des années 1980, et qui ont au passage montré (pour ne pas dire démontré) la fragilité du système bancaire moderne, n’ont fait que renforcer la méfiance du grand public pour les devises traditionnelles.

Dès lors, deux approches se dessinent, selon qu’on privilégie la sécurité avec les valeurs refuges traditionnels pour stabiliser la valeur de son capital, ou qu’on vise au contraire la maximisation du gain en marge des mécanismes classiques grâce aux outils de spéculation alternatifs les plus modernes.

Aujourd’hui, on sait qu’en cas de krach boursier, l’or conservera sa valeur intrinsèque, voire qu’elle se renforcera : on l’a vu à l’occasion de la crise de 2020 consécutive à la pandémie de coronavirus, au cours de laquelle les marchés mondiaux se sont effondrés tandis que l’or battait des records. De la même façon, le bitcoin semble être devenu une sorte d’instrument de valorisation de capital dont l’attrait ultra-spéculatif vient répondre à un besoin de rentabilité potentielle que n’offrent plus les placements traditionnels, à condition bien sûr de ne pas être allergique au risque extrême.

 

Rareté et authenticité font de l’or et du bitcoin des « monnaies honnêtes »

Autre point commun, la rareté. L’or est un minerai dont la quantité sur Terre est naturellement finie. Plus encore, même s’il n’est pas l’élément le plus rare, le métal jaune n’est que très parcimonieusement réparti dans la croûte terrestre, à la différence d’autres métaux plus communs comme le fer ou l’aluminium par exemple. C’est cette rareté qui contribue à lui donner une valeur importante, sans oublier les moyens parfois importants que nécessite son extraction. Le bitcoin lui aussi est rare, car contrairement à l’or, on sait très précisément combien d’unités de la cryptomonnaie seront produites en totalité : 21 millions. C’est même le principal argument de sa valorisation de départ. Aujourd’hui, environ 90% des bitcoins prévus ont été créés, et contrairement aux devises, il n’est pas possible d’en fabriquer plus vite ou davantage en fonction des besoins.

En parlant de monnaie, justement, l’or et le bitcoin partagent désormais cette qualité rare de constituer un instrument d’échange et de pouvoir d’achat. Pour l’or, ce fut le cas durant des siècles, et jusqu’à récemment, les pièces de monnaies étaient elles-mêmes constituées de métal précieux. Aujourd’hui, certains regrettent que la monnaie, qu’elle soit fiduciaire ou scripturale, n’ait plus de valeur intrinsèque. Néanmoins, un nouveau système de paiement par carte bancaire a vu le jour il y a quelques années par l’intermédiaire des services de la fintech Veracash qui permet dès lors de convertir ses euros en pièces d’or et lingots, lesquels viennent alors en garantir la valeur sans lien avec une quelconque autorité centrale et de manière totalement indépendante des marchés financiers.

 

 

Plus récente et encore balbutiante pour le bitcoin, cette monétarisation rejoint pourtant celle de l’or sur de nombreux points comme par exemple le fait de pouvoir être facilement décorrélée des devises internationales, et donc de ne pas être influencée, là encore, par la politique ou l’état des marchés financiers.

Mais c’est surtout sur la question de l’authenticité que l’or et le bitcoin se rejoignent. En effet, ces deux instruments ont la particularité de ne pas pouvoir être contrefaits ni copiés sans que la fraude soit immédiatement détectable. Cela fait des siècles qu’on sait déceler les moindres altérations ou tentatives d’alliages venant affecter le métal précieux et il est aujourd’hui totalement impossible d’échanger de l’or « falsifié » avec quiconque dispose de ces moyens de contrôle relativement simples à mettre en oeuvre. Quant au bitcoin, sa nature informatique interdit tout simplement l’existence-même d’unités qui ne répondraient pas très exactement aux contraintes algorithmiques prévues. Et le registre des transactions (la blockchain) conforte encore cette authenticité en fournissant l’historique exhaustif de chaque bitcoin depuis sa création. En ce sens, le bitcoin comme l’or constituent ce qu’on appelle des « monnaies honnêtes ».

 

Acheter de l’or et du bitcoin pour une stratégie gagnante ?

En conclusion, s’il est encore difficile aujourd’hui de considérer l’or et le bitcoin comme les deux faces d’une même pièce, l’inaltérable ancêtre physique d’un côté et le turbulent héritier virtuel de l’autre, il n’est toutefois plus question de les opposer. Chacun possède ses atouts et ses inconvénients, et peut-être qu’une bonne stratégie patrimoniale consiste désormais à en mixer les avantages pour tenter d’en gommer les faiblesses.

Ainsi, tout en restant dans les limites prudentielles recommandées en matière de diversification, il peut être intéressant de conserver de l’or pour ses qualités de réserve de valeur et de stabilité dans le temps, tout en acquérant des bitcoins dont la rareté et l’intérêt grandissant même auprès des institutions lui confèrent aujourd’hui une valeur monétaire insensible aux turbulences des marchés chahutés de crises en crises depuis plus de 20 ans.

De cette façon, il est possible d’adopter un profil d’investisseur hybride, à la fois dynamique et responsable, utilisant l’énergie des cryptomonnaies dont la grande volatilité offre une forte promesse de profit en s’exposant toutefois à un risque élevé de perte en capital, et la sécurité de l’or qui assure la conservation de valeur d’une partie du patrimoine financier en cas de chute soudaine des actifs plus instables.