Alors que l’or continue de dominer le marché des métaux précieux, l’argent métal reste dans une position ambiguë. En effet, malgré une demande relativement soutenue, le prix de l’argent (ou du moins le ratio or-argent) stagne à des niveaux historiquement bas par rapport à son grand frère doré (68 once d’argent pour une once d’or, au lieu de 16 contre 1 depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du XXe siècle). On peut donc se demander si le cours du métal blanc va finalement augmenter prochainement.
Car cette fin d’année 2024 présente des signaux contradictoires, et il semble y avoir autant de forces susceptibles de faire grimper les prix de l’argent que de raisons qui pourraient les tirer vers le bas.
Les facteurs qui pourraient entraîner une hausse du prix de l’argent
Une demande croissante dans les secteurs industriels porteurs
L’un des arguments majeurs qui plaident en faveur d’une hausse du prix de l’argent en ce moment, c’est bien évidemment l’augmentation continue de la demande industrielle. Selon le Silver Institute, la demande pour l’argent dans certains secteurs a d’ailleurs atteint un record en 2024.
Photovoltaïque (énergie solaire)
Niveau de demande actuel : Le secteur photovoltaïque représente l’un des plus grands utilisateurs industriels d’argent. En 2024, la demande dans ce secteur a atteint un sommet historique, représentant à elle seule environ 10 % de la demande mondiale d’argent.
Évolution : Le secteur est en croissance continue, soutenu par la transition énergétique mondiale. Selon le Silver Institute, la demande pour les technologies solaires pourrait donc encore croître de 30 à 40 % d’ici 2030.
Électronique
Niveau de demande actuel : Plus ancien, le secteur électronique reste tout de même le plus gros demandeur à l’heure actuelle puisqu’il continue à consommer environ 50 % de tout l’argent métal destiné à l’industrie, en grande partie pour les circuits imprimés et les composants électroniques.
Évolution : On l’a dit, le secteur n’est plus vraiment en croissance et on pourrait croire que la demande a tendance à stagner. Toutefois, l’augmentation permanente des volumes de production d’appareils électroniques (obsolescence, modernisation, miniaturisation, nouveaux usages, etc.) assure une croissance régulière qui correspond malgré tout à une demande importante en raison de la taille du marché. Sans compter les télécommunications et le déploiement de la 5G qui devrait encore davantage faire appel à l’argent dans les composants électroniques des équipements de transmission.
Secteur automobile (véhicules électriques et hybrides)
Niveau de demande actuel : Là encore, on est sur un secteur relativement récent, mais les véhicules électriques et hybrides représentent déjà 5 à 6 % de la demande industrielle d’argent.
Évolution : Sans surprise, la demande est en forte croissance, et le déploiement mondial des véhicules électriques pourrait faire grimper la demande d’argent métal dans ce secteur de 30 à 50 % d’ici 2030.
Industrie chimique
Niveau de demande actuel : Comme l’électronique, l’industrie chimique est un demandeur d’argent historique qui représente tout de même 5 % de la demande d’argent, principalement pour les procédés catalytiques.
Évolution : A priori, la demande devrait rester stable, bien que certaines innovations dans la production de plastiques mais aussi de carburants plus respectueux de l’environnement soient susceptibles d’entraîner une augmentation sensible d’argent dans ce secteur.
On le voit, ces quelques secteurs industriels concentrent à eux-seuls plus de 70% de la demande d’argent et celle-ci pourrait encore augmenter, avec comme possibilité un ajustement du cours à la hausse. Mais il existe d’autres secteurs, plus modestes, dont la part pourrait elle aussi aller en grandissant, contribuant également à booster le prix de l’or sous la demande.
Une demande qui progresse aussi dans des secteurs secondaires
Santé et médecine
Niveau de demande actuel : Le secteur médical représente environ 2 à 3 % de la demande industrielle d’argent, principalement pour ses propriétés antibactériennes.
Évolution : La demande pour l’argent dans les dispositifs médicaux progresse inéluctablement en raison du vieillissement de la population et des innovations médicales qui devraient entraîner une augmentation de 10 à 15 % d’ici 2030.
Alliages de soudure
Niveau de demande actuel : Industriels par nature, les alliages de soudure concernent un très grand nombre d’industries différentes et représentent 3 à 4 % de la demande industrielle d’argent.
Évolution : La demande pour ces alliages connaît actuellement une augmentation constante dans les secteurs industriels nécessitant des connexions électriques robustes, notamment dans l’électronique et l’automobile.
Fabrication de miroirs
Niveau de demande actuel : On pourrait le considérer comme anecdotique, ou même comme dépassé et d’un autre âge, mais le secteur des miroirs est encore très vivace et utilise de l’argent dans sa production, à tel point que sa demande spécifique représente environ 2 % de la demande industrielle.
Évolution : Certes, ce secteur est stable, avec une demande constante et sans évolution significative prévue à court terme. Toutefois, la recherche en optique ainsi que dans le domaine de l’astronomie et du spatial offre des débouchés appelant une quantité et une qualité accrue d’argent métal, ce qui peut contribuer à faire monter les prix.
Piles et batteries
Niveau de demande actuel : La demande pour l’argent dans les piles et batteries est relativement faible, représentant moins de 1 % de la demande mondiale, mais elle reste importante pour des applications spécialisées.
Évolution : La demande pour des batteries à haute performance va continuer à augmenter dans des applications de niche, telles que les drones militaires et l’aérospatiale, des secteurs traditionnellement considérés comme prioritaires qui peuvent influer sur les cours de l’argent, en dépit de leur petite taille.
Tous ces secteurs montrent le dynamisme de la demande d’argent métal dans l’industrie et la pression considérable qu’elle est susceptible d’imposer sur les cours. Mais cette demande n’est pas la seule cause possible d’une éventuelle remontée des prix du métal blanc.
Economie et géopolitique viennent s’ajouter à une diminution progressive de l’offre
L’argent a beau être un métal précieux, il n’en reste pas moins un bien marchand qui est soumis aux mêmes règles que tous les autres, à commencer par celles de l’offre et de la demande. Et si la demande accrue est une source de hausse des cours, la baisse de l’offre aussi.
L’inflation et la recherche de valeurs refuges
Depuis deux ans, les économies mondiales sont confrontées à une inflation persistante qui, même si elle a désormais tendance à refluer, laisse encore des traces durables sur les marchés ainsi que dans l’esprit des investisseurs.
Traditionnellement, l’argent, tout comme l’or, a toujours été perçu comme une valeur refuge en période d’incertitude économique. Et une inflation durable — qui persiste d’ailleurs encore aux États-Unis — est un phénomène parfaitement susceptible de déclencher un réflexe de protection chez les épargnants. À plus forte raison quand cette tension s’accompagne de hausses de taux d’intérêt qui verrouillent l’économie réelle et visent à réduire la monnaie en circulation.
Il est donc normal que de nombreux investisseurs, mais aussi des banques centrales (!) se soient tournés vers les métaux précieux pour protéger leur patrimoine.
Au-delà de la demande industrielle qui est structurelle, c’est cette demande conjoncturelle qui explique en grande partie la vitesse avec laquelle les cours de l’or et de l’argent ont progressé depuis janvier 2020 :
- Once d’or
- +1051 €, soit une hausse de 79.7% face à l’euro
- +1220 USD, soit une hausse de 83.5% face au dollar
- Once d’argent
- +17.23 €, soit une hausse de 101.35% face à l’euro
- +18.19 USD, soit une hausse de 90.95% face au dollar
On peut d’ailleurs noter que, bien qu’il ne soit pas aussi emblématique que l’or dans ce rôle de refuge, l’argent a davantage bénéficié de cette dynamique que son grand frère doré. Ce qui montre bien que la pression inflationniste et les craintes d’une stagnation économique alimentent bien une demande accrue pour l’argent métal dans les portefeuilles d’investissement, mais que la demande bénéficie également d’autres soutiens (notamment via l’industrie). Et que ces différents supports plaident en faveur d’une progression continue du cours de l’argent.
La baisse des taux d’intérêt de banques centrales
On pourrait se dire que, si la hausse des taux d’intérêt avait poussé les investisseurs vers les valeurs refuges, alors la baisse de ces mêmes taux devrait avoir l’effet inverse.
Paradoxalement, il n’en est rien. Car lorsque les taux baissent, ce sont les devises qui en pâtissent, par la dépréciation du marché obligataire notamment, et d’une manière générale par le désintérêt des investisseurs qui trouvent alors moins d’attrait aux devises (et surtout au dollar) par rapport aux métaux précieux.
Ainsi, dès l’annonce des premières baisses de taux en juin 2024 de la part de la BCE, puis plus récemment par la Réserve fédérale américaine, les cours de l’or et de l’argent n’ont eu de cesse de battre records sur records. Avec au passage +13 % pour l’or entre juin et septembre et +18% pour l’argent.
Tensions géopolitiques en 2024
Les tensions géopolitiques jouent également un rôle important dans l’augmentation des prix de l’argent. En 2024, les conflits en Europe de l’Est et les tensions continues entre la Chine et les États-Unis ont affecté la stabilité des marchés mondiaux.
Mais les années précédentes n’ont pas non plus été de tout repos quand on se rappelle notamment la crise sanitaire mondiale de 2020-2021 ainsi que l’invasion de l’Ukraine par la Russie ou la recrudescence des violences au Proche-Orient qui lui ont immédiatement succédé en 2022.
Toutes ces incertitudes poussent les investisseurs à se tourner vers des actifs plus sûrs, ou en tout cas moins sensibles aux turbulences des marchés. Les métaux précieux ont de tout temps été des placements privilégiés lors de ces périodes troubles.
Sans oublier que les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales — que ce soit en raison de la pandémie ou des tensions géopolitiques — ont également un impact direct sur l’offre d’argent. Si certains pays producteurs continuent d’extraire de l’argent à un rythme plus ou moins stable, d’autres, comme la Russie, connaissent des difficultés en raison des sanctions économiques. Cette baisse de l’offre internationale contribue donc aussi à une pression haussière sur les prix..
Diminution de la production d’argent
Enfin, et puisque qu’on parle de diminution de l’offre, on doit évoquer la baisse globale de la production d’argent, qui constitue un facteur majeur de hausse des prix, simplement à cause de la raréfaction du métal sur le marché.
En effet, plusieurs grands pays producteurs comme le Mexique, le Pérou et la Chine connaissent de grosses difficultés à maintenir leurs exploitations en activité. Selon les données récentes du Silver Institute, la production minière d’argent au cours des premiers mois de 2024 a ainsi diminué de manière sensible en raison notamment de l’épuisement des réserves accessibles et des coûts croissants d’extraction. Sans oublier le poids des nouvelles règles environnementales toujours plus sévères, et les mouvements sociaux qui prennent de plus en plus d’ampleur dans ces pays souvent instables politiquement.
Or, cette baisse de la production intervient à un moment où la demande ne demande qu’à croître toujours plus. Tout le monde sait que, sur n’importe quel marché, lorsque la demande augmente ou que l’offre baisse, les prix ont tendance à monter. Mais lorsque ces deux mouvements s’expriment conjointement, alors on ne parle plus vraiment de tendance, mais plutôt de quasi-certitude.
On peut donc raisonnablement penser que cette combinaison de besoins croissants dans les secteurs technologiques et de baisse de l’offre minière pourrait entraîner une augmentation significative des prix de l’argent dans les mois à venir.
Sauf si les forces contraires susceptibles de maintenir les cours à leur niveau actuel, voire de les tirer vers le bas, devenaient plus fortes que la loi de l’offre et de la demande.